Septembre était arrivé sans que personne ne le voit venir ; septembre était de ces mois peu patients et à cheval sur la ponctualité qui installait ses bagages à l'heure dite, sans pitié et sans remord. Pour ces raisons, beaucoup n'aimaient pas septembre. Il était le retour de la pluie et des longues journées de travail, et il avait l'air habillé d'un de ces costards cravate de patron qui rappellent que les vacances sont terminées.
Comme souvent au début du mois de septembre, la maison d'édition avec laquelle Antoine avait fait publier son petit recueil de poésie organisait un petit salon littéraire en centre-ville. Elle s'installait sur une place, montait un chapiteau blanc de mauvais goût, et chaque auteur héritait de sa table d'écolier et de son lot de livres à vendre et dédicacer au curieux qui s'aventurait par là. Antoine avait joint la fête, comme d'accoutumé, et le petit écriteau sur sa table annonçait son nom de plume ; "Octavien Terdas". Pas très original, suffisant pour ne pas attirer l'attention.
Son petit recueil, "Mille fleurs", tout aussi peu original, se vendait peu, mais avait quelques lecteurs venus rencontrer le poète. La table, globalement, demeurait vide. Antoine avait l'habitude. Il n'avait ni écrit, ni publié en vue du succès. Ce n'était qu'un petit bonus dans sa vie. Un partage. Une sorte de défi relevé. Son grand-père l'y avait encouragé. Antoine avait longtemps écouté les conseils de son grand-père, une fois sorti de son adolescence rebelle.
En dépit de sa solitude, Antoine offrait des sourires doux aux visiteurs qui passaient sans s'arrêter. Il les regardait défiler, son gobelet de café à la main, et entre deux gorgées, faisait danser le liquide en tournant le gobelet. Il faisait encore assez bon dehors pour ne pas s'offusquer que la boisson perde de sa chaleur, mais Antoine avait toujours préféré son café brûlant. Il le finit sans plaisir.
Un homme s'approche alors ; un personnage qu'Antoine n'a jamais vu, et, qui, peut-être, comme tous les autres, passera son chemin. Mais, comme pour tous les autres, Antoine tente son sourire et sa courtoisie.
"- Bonjour. Intéressé par la poésie ?"
Deux possibilités, à présent, comme chaque fois. L'homme déclinait l'invitation à échanger et s'en aller trouver d'autres auteurs plus à son goût. L'homme restait et engageait la conversation. Antoine n'avait qu'à attendre que la réaction se fasse, assis sur sa chaise pliable, son gobelet vide dans sa main droite.
Invité
Dim 4 Sep - 11:51
Une vie clandestine est difficile à mener. Ne vous fiez pas à ce qu'on vous montre dans les films ou les séries : ça n'a rien d'exotique et romantique. C'est même plutôt agaçant. On se méfie de tout et de tout le monde, on freine ses plaisirs, le simple fait d'aller chercher un croissant relève du parcours du combattant. Mais allez savoir pourquoi, cela fait fantasmer l'imaginaire collectif. Surtout les romanciers. Grim parcourait des yeux la quatrième de couverture d'un polar au titre racoleur. Trahison, amour, fuite, enquête, action, tout y était pour tenir le lecteur en haleine. Tout sauf la réalité. Pour la vivre au quotidien, Grim ne se retrouvait pas du tout dans ces lignes. Il soupira, reposa l'ouvrage et reprit son chemin.
Peut-être en raison de l'heure matinale, du ciel couvert, de la petite notoriété du salon, ou de tout cela à la fois, il y avait peu de visiteurs encore. Ce qui était un poil embêtant. On retient plus facilement un visage lorsqu'il n'est pas noyé dans la masse. Mais l'androïde était confiant. Ici il se sentait bien. Il n'avait jamais su pourquoi les livres l'intéressaient à ce point. A ses yeux ils représentaient la connaissance, et donc le pouvoir. Aussi lisait-il beaucoup. Principalement des ouvrages scientifiques. Or, on exposait ici des titres fictifs, des romans du terroir, des titres indépendants, et un peu de poésie.
Ce fut un de ceux-là qui attira son attention tandis qu'il se promenait entre les tables. Grim ne comprenait pas la poésie. Il ne comprenait pas non plus le besoin de l'Homme d'inventer des histoires fictives, des mondes impossibles, des choses échappant aux lois scientifiques. Un androïde purement cartésien, voilà ce qu'il était. Aussi, lorsque l'auteur lui posa LA question, il ne sut que répondre. Ses yeux firent l'aller-retour entre l'homme et son livre, s'arrêtèrent un bref instant sur le gobelet de café avant de revenir sur l'ouvrage qu'il tenait encore à la main.
- A quoi sert la poésie ?
La phrase avait sauté hors de sa bouche sans qu'il ne puisse la retenir. Tant pis. Grim ouvrit le livre au hasard d'une page. Il balaya les mots du regard, mais ne comprenait pas. Pas d'information. Pas forcément de sens évident. Pour lui il n'y avait aucune cohérence dans tout cela. Et on payait pour en lire ? Non vraiment, ça n'avait aucun sens.
- Votre gobelet est vide, fit-il remarquer à voix haute.
Une remarque en réalité destinée à la personne qui se tenait non loin de l'auteur. Un étudiant, sans doute ici pou les besoins de son cursus, et qui le temps d'un salon devenait esclave des volontés des auteurs invités et de son patron obsédé par le besoin d'engendrer des bénéfices.
Invité
Mer 7 Sep - 10:15
En effet, son gobelet était vide. Curieux qu'un client s'ennuie à le remarquer, et à le faire remarquer. On s'occupe d'habitude peu de ce genre de détails. Antoine savait que certaines personnes remarquaient jusqu'aux éléments de décor les plus insignifiants et ne pouvaient s'empêcher d'être attirés par ces miettes d'intérêt. Antoine les rencontrait seulement peu.
Antoine reposa le gobelet vide sur la table. Il aimait avoir les mais occupées, si ce n'était un besoin, mais l'homme semblait perturbé, alors il y avait un effort à faire. La conversation l'occuperait assez, avec un peu de chance, pour qu'il ne remarque pas excessivement ce désert entre ses doigts.
"- Le café était froid, inutile de le garder plus longtemps," répondit simplement le magicien. "Puis je ne suis pas ici pour le café."
On était rarement quelque part pour du café. On était là pour des questions épineuses comme celles que cette personne lui posait. Il n'avait pas l'habitude de ce genre d'interrogations. Les professeurs de littérature les recevaient, lorsque leurs élèves las tentaient de comprendre dans quel but ils perdaient leur temps. Les auteurs, on s'y intéressait ou on les boudait ; on ne questionnait pas leur travail.
Antoine tapota du bout des doigts la couverture d'un de ses lèvres. Il prenait le temps de réfléchir à une réponse qui lui conviendrait. Aucune ne serait parfaite, mais il devait s'efforcer de s'approcher de quelque chose d'authentique, de quelque chose qui ne mentait pas.
"- Tout dépend de votre position," entama-t-il. Il se montra lui-même d'un geste de main vers sa poitrine. "En tant qu'auteur, la poésie me passe le temps. Elle me permet de mettre le langage à mon service et de m'amuser avec. Je peux m'exprimer sans tout dire en noyant le sens derrière la forme. J'écris de la poésie parce qu'elle est lâche sous ma plume."
La magie, la poésie, était un même combat. Il cachait pour montrer, transformait, détournait l'attention. C'était une bouteille à la mer, un code secret dont sans doute personne n'avait l'équivalence pour le déchiffrer. Tout était toujours dans l'illusion et le mensonge. Antoine était ce genre d'individu.
"- Pour un lecteur," et il montra cette fois-ci l'homme face à lui, "et je suis aussi lecteur parfois, la poésie a pour intérêt de ne pas être une lecture facile. Elle demande réflexion. C'est une devinette. Je suppose qu'on aime lire la poésie lorsqu'on aime se questionner et lorsqu'on aime, soi-même, les beaux mots et les beaux sons."
Une théorie. La poésie n'avait rien de scientifique : aucune loi ne pouvait affirmer ses propos. Il y avait probablement autant de causes à la poésie qu'il y avait de poètes, et autant de raisons de l'apprécier qu'il n'y avait de lecteurs.
Invité
Sam 10 Sep - 11:57
Une énigme ? Des messages cachés ? Un jeu intellectuel en quelque sorte, entre le lecteur et l'écrivain. On y comprenait ce qu'on voulait personne ne viendrait donner la bonne réponse. La poésie laissait donc une place au doute et à l'incertitude, à la spéculation. Il n'y avait rien de linéaire,ce n'était pas ou tout blanc ou tout noir. Comme souvent dans les œuvres humaines. C'était bien cela qui échappait à Grim. Il ne comprenait pas pourquoi, comment, cette espèce avait pu évoluer à ce point et dominer le monde tout en étant si dispersée. Pour autant les explications lui firent froncer les sourcils. On pouvait en dévoiler autant en quelques lignes ? A écouter cet homme, sa plume en disait long sur lui, trop long. N'était-ce pas dangereux d'ainsi s'exposer aux yeux de tous dans ce qu'on avait de plus intime ? N'était-ce pas leur donner un grand pouvoir sur sa personne ? Il feuilleta à nouveau le livre, parcourant parfois un texte rapidement.
- La poésie n'apporte donc pas de connaissances scientifiques. Ce n'est que de la distraction.
Aucun intérêt pour lui. Néanmoins, il relut quelques passages, toujours concentré et perplexe. Il cherchait le code secret entre les lignes, l'énigme cachée dans les mots. Peut-être qu'il n'y en avait pas et que l'auteur prenait plaisir à manipuler ses lecteurs en leur faisant miroiter un gros poisson quand il ne s'agissait que d'une botte remontée au bout de la ligne. L'androïde finit par refermer l'ouvrage d'un geste sec et le tendit à son auteur.
- Je le veux.
Ces mots magiques firent rappliquer le jeune homme en charge du stand. Un sourire commercial collé aux lèvres, il indiqua le prix que Grim s'empressa de payer, tirant l'argent de sa poche. C'était certainement le plus gros avantage de son métier : il n'avait pas de problème d'argent. La vente de drogue, toute illégale soit-elle, rapporte énormément.
- Voulez-vous que l'auteur vous le dédicace ? Puisqu'il est sur place autant en profiter.
L'androïde darda à nouveau ses iris bleues sur l'homme.
- Pour quoi faire ? Quel est l'intérêt de faire une rature dans un livre que vous avez passé des mois à travailler pour qu'il soit beau ?
Puis soudain il eut la réponse.
- Oh je sais. Je pourrai le revendre une fortune par la suite, ou lors de votre mort. A condition que vous soyez quelqu'un de très célèbre, ou en passe de le devenir.
Il regarda alors autour de lui pour constater qu'il n'y avait pas encore beaucoup de monde. Il s'agissait d'un petit salon sans prétention, donc il y avait peu de chance qu'on y croise des auteurs de best-seller.
- Mais vous n'êtes pas quelqu'un de célèbre. Il détailla rapidement l'homme du regard. Jeune, plutôt en forme. Grim soupira. Et vous avez l'air en bonne condition physique, donc j'en déduis que vous n'allez pas mourir prochainement.
Enfin ça, il n'en était pas certain. C'était toute l'énigme de la condition humaine. Ces êtres pouvaient mourir après une longue vie bien tranquille, tout comme ils pouvaient s'éteindre une heure après avoir fait leurs courses lors d'un accident de voiture. Finalement il tendit le livre à Antoine pour l’inviter à lui faire une dédicace. Savait-on jamais, peut-être était-ce là une future mine d'or.
Invité
Dim 11 Sep - 22:23
La poésie est une distraction. C'est exact. Le mot sonne bien. On écrit et on lit la poésie pour se changer les idées, tu le temps, tuer ses pensées. Peut-être certains poèmes avaient-ils à vocation de transmettre un savoir, et peut-être la forme poétique elle-même était une science, mais l'ensemble était une immense distraction. Antoine avait cet avis que les poètes étaient des êtres beaucoup trop égocentriques pour chercher dans la poésie autre chose que la satisfaction d'eux-mêmes. Lui-même agissait en ce sens. Antoine aurait alors pu lui dire, à cet homme, que la poésie était un acte égoïste, mais inutile de continuer de débattre lorsque le client était déjà intéressé.
Et Antoine était étonné, de cet intérêt. Rien dans l'attitude de cet homme jusque là n'avait laissé imaginer qu'il puisse se laisser tenter. Antoine lui offrit un sourire et un merci, mais laissa le jeune éditeur s'agiter et gazouiller ses discours pré-fabriqués. C'était son rôle, Antoine n'allait pas le lui voler. Il n'avait pas envie de se mettre sa maison d'édition à dos. Trop de complications pour trop peu de gain. Et cette personne est jeune et désire faire ses preuves, alors Antoine reste discret et fait tourner son gobelet vide entre ses doigts.
Puis il va de surprise en surprise, et aussi décontenancé qu'amusé par la remarque sur sa célébrité et sa mort, il lâche un rire franc qui met le jeune éditeur mal à l'aise. Antoine repose le gobelet et rassure l'apprenti d'un regard, mais sa réponse est adressé à son client.
"- Pardonnez mon manque de popularité, je doute être un bon investissement. Néanmoins, soyez rassuré, si jamais je perce. Je fume assez pour me ruiner la santé sans l'aide de la nature. Vous pourriez finalement obtenir le double de votre mise avec un petit peu de chance."
Cette vérité arrache un couinement à l'éditeur, qui ne veut surtout pas que son gagne-pain trépasse avant d'avoir écrit tout ce qu'il pouvait écrire, et vendu tout ce qu'il pouvait vendre, mais ce genre de crainte n'intéressait pas Antoine. Il n'était pas la propriété de cette société ; il n'était qu'un homme un peu amadoué par les jolis mots, qui fit tourner les pages de son recueil sans regarder plus que les numéros des feuilles.
"- Une rature n'est pas si grave," ajoute-t-il à un précédent commentaire. "Le processus créatif est un ensemble de ratures. Et un livre est un objet et tous les objets se dégradent. Il jaunira et se cornera, et vous pourriez accélérer sa décrépitude en le déchirant en rentrant chez vous si cela vous amuse. Je ne m'en formaliserai pas. Je suis attaché au contenu, non au contenant."
Alors, contre l'avis du client, Antoine saisit un stylo et ouvre la page, et cherche la feuille blanche où noter son remerciement et signer, et se faisant, lève le nez et demande : "Quel nom dois-je écrire ?"
Invité
Dim 18 Sep - 11:42
Ah un fumeur ! Et un gros fumeur. Grim en avait déjà rencontré, et soigné, des dizaines par le passé. Il avait du mal à comprendre le désir des humains à se lancer dans l'auto destruction à grand renfort de produits dangereux. Cigarettes, alcool, drogue, pornographie, il ne les comptait plus. Et à chaque fois il avait beau expliquer à ses patients les effets de ces substances sur leur organisme et leur cerveau, rien n'y faisait. Ils persistaient dans leur désir de se ruiner la santé.
L'androïde fut d'autant plus intrigué par la suite des propos de l'auteur. Il fronça les sourcils tout en le regardant faire. A la question d'Antoine il mit quelques secondes avant de répondre par automatisme cette fausse identité qu'il s'était créé. Si tant est qu'un androïde puisse inventer.
- Valérian.
Non ça ne relevait pas de la création comme la poésie, en fait. Il s'agissait plutôt d'une nécessité. Son programme lui dictait de survivre, alors il devait mentir. Mais mentir impliquait de savoir imaginer et inventer des choses, non ? Grim se perdit dans cette réflexion. Ça ne lui avait jamais traversé l'esprit, mais était-il capable, dans une moindre mesure, d'inventer lui aussi ? Si on considérait les histoires fictives comme relevant du mensonge, alors dans ce cas n'était-il pas en train d'en créer une, sa propre vie ? Il faudrait qu'il se penche plus sérieusement sur la question, une autre fois.
- Le contenu du corps humain n'est pas très intéressant, finit-il par dire pour se focaliser sur autre chose. Votre corps est un objet aussi, il se dégrade avec le temps. Vous allez vieillir et vous flétrir, puis commencer à vous dégrader. En fumant vous accélérez votre décomposition interne. Si vous êtes tant attaché au contenu des choses, et non pas au contenant, vous devriez arrêter de fumer.
Il haussa les épaules, comme pour signifier que cela ne le concernait pas vraiment au final. Cet homme faisait ce qu'il voulait de sa vie. Et s’il mourrait jaune alors tant mieux. Malgré ça on ne pouvait chasser totalement ce pour quoi on était programmé. Grim prit le livre et examina la signature ainsi que le petit mot laissé à son attention. Il le lut à voix basse, et satisfait, le tendit à l'éditeur qui lui préparait un sac. Ainsi qu'une carte de visite et un catalogue des autres titres publiés par sa maison.
Un groupe de gens arriva alors, précipité sous le chapiteau à cause de l'averse diluvienne qui venait de s'abattre sur la ville en une fraction de seconde. Grim n'avait pas de parapluie, et l'idée d'affronter les éléments ne l'inspirait pas vraiment. Alors il soupira et reprit sa conversation.
- Connaissez-vous les autres auteurs présents à ce salon ? Et lesquels sont intéressants ?
Il y en avait bien un qui attisait sa curiosité, mais l'étrange individu clamait à qui voulait l'entendre que la fin du monde approchait, et que toute la vérité se trouvait dans son livre. Du coup, Grim doutait de la lucidité de ce burlesque personnage.
Invité
Jeu 22 Sep - 20:47
Valérian n'était pas un nom qu'Antoine avait l'habitude d'entendre. Il était vieux, désuet, issu des lectures médiévales et des fictions modernes avides de recréer le temps passé. Il signa pourtant sans commenter, gardant cette réflexion dans un coin de sa tête. Valérian ne ressemblait pas à un Valérian, mais Antoine ne ressemblerait pas à un Dastre, alors il n'y avait pas matière à juger.
Peut-être était-ce de parler de son addiction, l'envie de tabac commencerait à poindre. C'était là le sermon le plus singulier qu'on lui ait déjà fait sur sa relation à la cigarette, mais Antoine l'accepta avec le sourire, sans ciller. C'était une conception inhabituelle, aussi inhabituelle que le nom du penseur, et il était à se demander comment un tel personnage pouvait ne jamais avoir nourri d'intérêt pour la poésie.
"- Vous détonez", dit simplement Antoine.
Il détonnait pas le ton, détonait pas le nom, détonait par la vision du monde.
"- Je ne suis pas vraiment un homme de science," continua-t-il. "Je ne sais pas bien quel est mon intérieur. Je sais en revanche que le tabac n'atteint pas mon esprit, et je tiens davantage à mon esprit qu'à ma chair. Même, si, la chair morte, l'esprit s'en va aussi."
Une conversation bien peu joyeuse pour un début d'après-midi. Peut-être était-ce ce qui avait invoqué cette soudaine pluie. Antoine non plus n'avait manqué ni la foule ni le tapage des intempéries. Pas de pause cigarette pour lui. Pas temps qu'il cracherait à ce point au dehors. Quelle pitié. Au-delà du début, il devrait vraiment songer à arrêter.
Antoine s'enfonça sur sa chaise et croisa les bras, à l'écoute du client et de sa question perdue dans le vent. Connaissait-il d'autres auteurs ? Vaguement. Etait-il apte à juger leurs oeuvres ? Sans doute pas.
"- Je vous dirais bien que je n'ai pas envie de complimenter mes rivaux, mais ce serait mentir," rit doucement Antoine. "La vérité, c'est que je ne les connais pas aussi bien qu'il le faudrait. Le personnel saura mieux vous conseiller que moi."
Le personnel qui s'en revenait avec un nouveau café, peut-être inquiet que cette pluie apporte sa vague de froid avec elle. Antoine prit le gobelet à deux mains, mais le posa aussitôt sur son bureau.
"- Vous pouvez aussi rester ici à discuter, si ça vous intéresse. Ce n'est pas comme si les clients m'envahissaient."
Aucune obligation, une simple proposition. Il avait du temps à tuer et de la verve à revendre. Converser plus longuement ne l'ennuierait pas.
Invité
Ven 23 Sep - 18:09
La remarque lui fit pencher la tête sur le côté. Il ne comprenait pas. Pourquoi ce mot ? Après avoir regardé autour de lui, Grim jura intérieurement. Il n'était pas assez discret. Pas assez "humain". Cela se voyait. A force de trop discuter il finirait par se dévoiler et fatalement s'attirer des ennuis. Que son interlocuteur sache qu'il avait face à lui un androïde ne le dérangeait pas en soit. En revanche, que l'on découvre ce qu'il était, qu'il "savait", ça lui posait davantage de problème. Aussi essaya-t-il de faire plus attention.
L'éditeur revint avec un nouveau café. L'excès de cette boisson n'était pas non plus des plus sains sur le corps. Outre sa capacité spéciale à remplir une vessie à la vitesse de l'éclair, il augmentait le rythme cardiaque et créait une accoutumance digne des drogues dures. Mais sans doute fallait-il bien cela pour garder un auteur ici par ce temps. Un vent frais se leva d'ailleurs et s'engouffra sous le chapiteau. Si Grim ne ressentait pas le froid, il devinait sans mal que les gens présents ne devaient guère apprécier. D'ailleurs certains clients se hâtèrent de resserrer leurs vestes sur eux. Vraiment, ce n'était pas de chance. Même la presse boudait l'évènement en raison du mauvais temps. L'androïde remarqua du coin de l’œil ce qui devait être un reporter. Ou peut-être un de ces mordus de littérature qui tenait un blog et se rendait à tous les salons possibles pour en faire des chroniques. La proposition l'arracha à ses réflexions.
- Les autres titres ne m'attirent pas vraiment, et je n'ai pas envie de rentrer sous la pluie. De plus votre conversation est plutôt intéressante. Il ne dit pas "agréable" c'eut été donner trop d'honneur à un humain. Je suppose qu'il faut trouver un sujet de conversation.
Ce qui n'est pas forcément évident pour deux personnes qui ne se connaissent pas. Pire encore, lorsque l'une d'elle se contrefiche de celle en face. A la place, Grim se saisit du gobelet de café et en respira l'arôme. Il fronça le nez et le reposa.
- Ce n'est pas une bonne marque en plus de ça. Votre éditeur ne fait aucun effort.
L'éditeur en question vira au rouge et se mordit la langue pour ne pas insulter l'androïde. Le client est roi, c'était sans doute ce qui l'empêchait de lui jeter le contenu du gobelet à la figure.
- Pourquoi restez-vous ici ? Il fait froid, les gens ne se bousculent pas, votre éditeur aurait pu faire un effort, et vous dites ne pas être un bon investissement. Alors pourquoi perdre votre temps ici ? Vous n'avez pas de famille avec qui passer le temps ? Ou de, comment ça s'appelle déjà ... Ah oui, une femme ? Des enfants ? Un chien peut-être ?
Non vraiment ça lui échappait. Cet homme n'était pas connu, visiblement ça ne lui posait aucun soucis, et il venait de lui-même s'ennuyer ici. Grim croisa les bras sur sa poitrine, toujours perplexe.
- En plus de cela, rester assit de la sorte trop longtemps peut être la cause de l'apparition d’hémorroïdes si vous y êtes sensible. Vraiment, rien n'est bon pour votre santé dans cette situation.
Invité
Dim 2 Oct - 10:26
Antoine laissa un sourire redessiner la forme de ses lèvres, buvant une gorgée du café, il était vrai, sans marque et son goût, mais Antoine n'avait aucun intérêt pour les marques et les goûts des cafés, qu'on lui avait tendu d'une main tremblante. Le jeune employé était sujet à l'angoisse, et l'humour crissant du client n'aidait pas. Antoine aimait cet humour - en était-ce seulement ? - et ce franc parler de Valérian. On ne parlait pas toujours de sa santé et de sa boisson en ces termes.
Il était plus flatteur de s'entendre dire que l'on avait une conversation intéressante ; d'autant plus lorsque l'on aimait à se considérer comme un plutôt bon orateur, et d'autant plus lorsque converser était, à ses yeux, l'une des activités les plus palpitantes d'une vie. Antoine illustrait à merveille cette pensée si célèbre d'Aristote : il était un animal politique. Il avait ce besoin de vivre dans la ville, la foule, la communauté, et d'échanger avec la plus insignifiante des vies tout autour, pour se sentir vivre lui-même.
Antoine ignore le brouahaha qui les entoure, l'employé vibrant d'appréhension qui dansait sur ses jambes à côté de lui, soucieux que son auteur ne raconte des choses susceptibles de faire fuir le client, et il ignora aussi le vacarme toujours plus assourdissant de la pluie sur les tentures. Les questions de Valérian nécessitent réflexion, et Antoine a appris, avec les années, à isoler les bruits pour donner forme décente à ses pensées.
L'auteur reprit un peu du café, puis abandonna de nouveau le gobelet entre deux exemplaires de son recueil.
"- Ma famille m'a renié, aucune femme ne s'est liée à moi assez longtemps pour vivre en mon foyer, mon hygiène de vie causerait la mort de tout animal, et je ne saurais élever un enfant avec justesse. Ce genre de vie doit sonner pathétique à certaines oreilles, mais je m'en accommode bien."
Bien lorsqu'il n'y pensait pas trop ; bien lorsqu'il ne revoyait pas, les yeux clos, ces personnes qu'il avait aimé et qui étaient parties, le sourire d'une mère qui préférait se passer la corde au cou que de prononcer le prénom de ce fils qu'elle avait mis au monde, et lorsqu'il ne pensait pas, non plus, à son âge qui l'éloignait de plus en plus de la possibilité d'un jour fonder la famille qui, certains jours, le faisait rêver.
"- J'ai d'autres loisirs qui me conviennent. La lecture, l'écriture, la discussion. La cigarette, l'alcool," ajouta-t-il en riant. "Quelques amis." Il tendit une main vers Valérian pour le montrer. "Et vous ? Que venez-vous faire ici ?"
Il ne connaissait rien à la poésie, méprisait les éditeurs, et n'avait aucun intérêt pour les autres auteurs. Pourquoi venir ? Pourquoi se déplacer ? La question était légitimement rendue.
Invité
Mar 4 Oct - 17:23
Un humain seul. Sans famille. Sans personne. C'était rare. Grim n'en avait jamais vu. Ou alors si, mais ne le savait pas. Après tout, autrefois il ne s'occupait que de l'aspect médical des choses, et laissait la sphère familiale aux psychologues et autres spécialistes. Cela lui paraissait tout de même étrange. Mais après tout ça ne le regardait pas. Le dénommé Antoine semblait s'en accommoder. Même si, à bien y regarder, il avait l'air triste. Grim fronça les sourcils. Il reconnaissait cette émotion pour l'avoir rencontrée des centaines de fois. Généralement il souriait pour réconforter son patient, parfois lui tapotait doucement le haut de la tête, et s'assurait d'être là à son retour pour dédramatiser de la situation. Mais avec un adulte c'était différent. Depuis qu'il était "libre" c'était différent.
- Si vous n'arrivez pas à sociabiliser c'est peut-être que le problème vient de vous. Il faut vous remettre en question dans ce cas.
Il avait dit ça sans mal, parce que c'était la réponse la plus logique à la situation décrite par le poète. D'ailleurs, Grim finit par hausser les épaules, geste apprit chez les humains, comme pour dire qu'au final il disait ça comme ça.
La question qui suivit en revanche le fit s'attarder plus longtemps sur sa réflexion. Pourquoi était-il venu oui. Une décision qu'il avait pris seul. Mais pourquoi ? Pour savoir. Oui, à la base c'était cela. Mais pourquoi vouloir savoir ? Qu'est-ce qui le poussait à agir comme ça ? Certainement pas son programme. Alors quoi ? L'envie de savoir ? Pourtant il était un androïde, il ne connaissait pas l'envie. Ou alors si ? Avoir une conscience permettait de développer des sentiments ? Ou des formes de sentiments comme l'envie ? Il regarda autour de lui, comme si la réponse allait jaillir d'un stand. Il était venu car il pensait trouver des livres qui l'intéresseraient. Mais non. D'ailleurs, si ces livres là ne lui plaisaient pas, cela signifiait-il qu'il avait des "goûts" ? Il pouvait aimer des choses ? Grim n'était pas un Artilect depuis très longtemps, et il s'étonnait encore à chaque fois de ses réactions et des limites sans cesse repoussées de sa conscience. Cela l'agaça et il finit par secouer la tête pour chasser ces pensées.
- Je suis venu pour les livres. En fait, je ne me suis pas renseigné, j'ai juste vu l'affichage en ville. Et j'ai pensé que je trouverais ici des livres qui m'intéressent. Mais je me suis trompé.
A chaque phrase prononcée il se troublait davantage. Il avait "pensé" oui, selon ses "goûts". Donc il portait un jugement de valeur sur les choses. Cette réflexion ne venait pas de la logique, mais bien de quelque chose d'autre. D'un jugement personnel. Seulement, un androïde n'émet pas de jugement, il répond à des faits, à des données. Donc s'il pouvait faire ça ... Cela donnait un autre sens à bien des choses.
- La cigarette et l'alcool peuvent être des loisirs ? Je voyais ça un peu comme boire et manger, en plus nocif pour la santé évidemment. C'est peut-être une addiction que vous avez là, et cela expliquerait pourquoi personne ne veut de vous.
Non vraiment, la délicatesse n'était pas son point fort.
Invité
Mer 12 Oct - 18:21
Ce n'était pas un "peut-être". Antoine savait que le problème venait en partie de lui. Contrairement à ce que Valériane pensait, Antoine n'avait aucune difficulté à sociabiliser. Sa difficulté consistait à maintenir les relations tissées. Les gens partaient et il ne savait pas les retenir ; et parfois, il s'éloignait, et on ne prenait pas la peine de le retenir. Tout était toujours éphémère. Tout était toujours bref et voué à s'achever précipitamment.
Antoine pensait que le problème était sa personnalité. Il était extrêmement bavard, mais lent à parler, et lorsque son intérêt pour l'autre mourrait, ses mots avec lui, et rien ne saurait le sortir de son silence. Il avait une odieuse tendance à mentir lorsque ses intérêts l'exigeaient, et une implacable habitude de se laisser attendrir trop rapidement. On n'arrivait guère à croire à la sincérité de quelqu'un qui offrait le même regard à tout le monde. Antoine lui-même n'y croyait pas.
Puis il fumait trop, oui, et buvait trop, et lisait trop, et était trop ceci et trop cela, et pas assez à la fois. Trop affectueux mais pas assez amoureux, trop orateur mais trop secret, et peut-être trop distant derrière une attitude aisée et ouverte. Il n'en savait rien, n'avait aucune certitude. Il ne s'analysait pas à tous les instants. Il n'était pas si seul, dans le fond. Il y avait Cybèle, Lise, Léandre. Il y avait les gens de passage, les personnages de romans, l'alcool, la cigarette.
La cigarette entre ses doigts, la cigarette entre ceux d'un ami, la cigarette absente aujourd'hui.
"- Le problème des addictions," énonça lentement Antoine après son interminable silence, "c'est qu'il est difficile de s'en débarrasser. Je ne pense pas, néanmoins, que mes addictions soient les principaux acteurs de l'échec de ma vie sentimentale."
Antoine se permit un sourire nébuleux, de ces sourires fins qu'il offrait souvent au détour d'une conversation qui le laissait songeur. Il voulait le tabac et les cendres, il voulait la fumée tout autour de lui, et il voulait chasser le manque, mais la pluie ne cessait pas.
Antoine ferma les yeux un bref instant et se concentra sur son environnement. Le son de la pluie, l'odeur du café, les voix des inconnus. Le client était toujours là. Il les rouvrit, croisa les bras. Il fallait entretenir la conversation.
"- Quels livres aimez-vous ? Peut-être devriez-vous tenter de vous tourner vers une littérature plus ancienne."
Les vieilleries, comme il les appelait. Antoine s'était nourri et entouré de vieilleries. Son petit appartement en débordait. Il avait lu les philosophes et les poètes, mais les histoires d'amour et les romans d'aventure aussi. D'autres l'avaient dit avant lui, mais Antoine en était convaincu : tout avait déjà était écrit. On le réécrivait juste différemment.
Invité
Jeu 20 Oct - 17:26
- Vous pouvez vous débarrasser de vos addictions, il suffit de suivre le traitement adéquat. Aujourd'hui la bonne dose de médicaments suffit largement, ou alors une thérapie suivie avec un professionnel. Vous avez déjà pensé à consulter un psychologue ? Les addictions prennent souvent leur source dans l'esprit avant le corps.
Même s'il n'était pas un expert du sujet, il en savait assez pour donner de bons conseils et même prodiguer les premiers soins médicamenteux appropriés. En revanche pour l'aspect psychologique ... A sa connaissance il n'existait pas d'androïde psy. L'esprit humain était trop complexe, leurs émotions trop difficilement raisonnables pour qu'une machine puisse réussir à soigner la douleur psychique. Et sa douleur à lui ? Un humain pouvait-il réussir à guérir la déchirure causée par l'un de ses semblables dans "l'esprit" de Grim ? Ou son programme ? Lequel des deux était-ce ? Cette conversation l'amenait à se poser bien trop de question. Il préféra en revenir aux faits.
- Je ne connais pas "la vie amoureuse".
Et pour cause ! Il ne ressentait pas l'amour. C'était l'un des sentiments les plus difficile à reconnaître et à copier tant il pouvait prendre de formes différentes.
- Si le problème ne vient pas de vos addictions, peut-être est-ce dû à votre physique. Avez-vous déjà envisagé que votre extérieur ne plaise pas à vos partenaires ?
Oui. Il venait d'insinuer que son interlocuteur ait un physique ingrat. Moche donc. Mais là encore rien de choquant pour Grim. La beauté restait subjective, et une machine ne possédait pas cette notion là. Quoique. Est-ce que vraiment il s'était déjà interrogé sur ce sujet ? L'androïde se pencha légèrement en avant, détaillant longuement Antoine, comme pour voir s'il arrivait à extraire cette donnée de son programme ... ou d'autre chose.
- Hum .... Analyse impossible.
Ca pouvait être extrêmement vexant. Mais de toute façon il fut à nouveau plongé dans la perplexité la plus totale face à la question sur ses goûts. Qu'est-ce qu'il "aimait" ? Grim eut envie de répondre : rien. Pourtant ce n'était pas l'exacte vérité. Il y avait bien quelque chose. Sinon il en serait pas là. Alors il laissa son regard balayer à nouveau les stands avant de se poser sur le livre dédicacé. Il l'ouvrit, le feuilleta, s'arrêta pour lire un poème puis fronça les sourcils. Pour beaucoup ses réactions ressemblaient à celles d'un enfant.
- La science. J'ai un intérêt pour ce qui touche à la science.
Les faits, toujours les faits. Et la connaissance. Pour Grim, qui toute sa vie avait évolué dans un milieu médical, il ne pouvait y avoir une autre vérité que la rigueur scientifique. Pourtant ... Il y avait autre chose. Un "souvenir" ? Oui, quelque chose qui remontait du plus profond de sa mémoire.
- Les contes...
Oui il y avaient les livres de contes aussi. Des histoires pour enfants. Son prénom même venait de deux célèbres conteurs. Enfin, "avant". Mais malgré cela il y restait toujours très attaché et achetait souvent des livres de contes de tous horizons. Cela semblait paradoxal qu'un être si plein de logique et si attaché aux faits ait un tel goût pour l'imaginaire. Est-ce que ça voulait dire quelque chose ? Est-ce qu'il pouvait créer une histoire comme ça ? Non, certainement pas. En revanche il en connaissait certaines par cœur. Et il savait les lire comme il fallait, avec la bonne intonation, comme au théâtre. Alors, il pouvait jouer des émotions ? Mais par mimétisme ou par autre chose ?
L'arrivée soudaine d'un car remplit de seniors coupa court à ses réflexions. La personne âgée avide de dédicace était la plus redoutable des créatures.
Invité
Sam 22 Oct - 11:58
Une thérapie ? Un psychologue ? En voilà une drôle d'idée. Antoine aimait parler, certes, adorait parler, même, à dire, mais c'était à la condition d'obtenir un retour. Il aimait les conversations, pas les monologues. Ses parents lui avaient fait consulter un psychologue, une ou deux fois, lorsqu'il était adolescent, pour tenter de comprendre pourquoi il se comportait aussi mal. Antoine avait été fatigué par cet échange à sens unique. Il n'avait pas particulièrement envie de réitérer l'expérience. Il n'avait rien contre la profession, mais elle ne convenait pas véritablement à ses attentes. Et puis, se débarrasser du tabac, c'était une simple question de volonté, et de purger son système de toute trace de nicotine. Il y réfléchirait, à cette histoire de thérapie, parce que ce n'était pas bête, mais il n'était pas convaincu au premier abord.
A contrario, Antoine ne doutait pas que ses problèmes relationnelles dépendaient davantage de son mental que de sa condition physique. C'était un peu fatigant, par ailleurs, de penser qu'il allait lui falloir travailler sur les deux plans. Peut-être allait-il ne travailler sur rien du tout. Pour l'heure, il s’accommodait de son célibat et de son tabac.
Puis il avait mieux à faire ; comme comprendre les réactions de son client. La vérité saute subitement à ses yeux, comme si l'on avait levé un voile. Son client était aytpique. Il n'était pas humain. C'était un androïde. Antoine s'étonnait de ne pas l'avoir compris plus tôt. Valériane cachait bien son jeu. Pour peu qu'on le rencontre sans approfondir la discussion, il avait l'air effroyablement humain. Etait-ce le résultat d'une programmation hyper performante ? Où était-il du genre de Cybèle ? C'était une question qu'Antoine ne poserait pas.
Antoine laisse passer le flot de personnes âgées avant de parler, leurs conversations étouffants les autres. Peut-être l'une d'elle finirait-elle par s'arrêter à son stand. Peut-être trouveraient-elles davantage leur bonheur après du rayon historique.
"- Je vous remercie pour vos conseils," déclara simplement Antoine, ni menteur ni sincère. "Je tenterai de m'y pencher."
Un jour peut-être. Peut-être jamais.
Puis, tiens, il est curieux d'apprendre qu'une machine s'intéresse à la science, alors qu'elle est elle-même produit de la science. Antoine sourit, rit presque, face au comique de la situation. Lui-même n'était pas un homme de science, mais avait lu sur le sujet. Il connaissait certaines théories sans les comprendre. Peut-être n'avait-il pas, contrairement à certains androïdes, une base de donnée assez performante pour traite toutes ces informations complexes.
"- Un collègue plus loin a écrit un roman d'aventure qui parle de science. Peut-être que ça vous plaira. Je ne l'ai pas lu. Je ne sais même pas si la science y est fidèle. Je suppose qu'il faut s'y intéresser pour le découvrir."
Antoine montra de la tête et du doigt une jeune fille tout sourire qui tentait de rapatrier quelques clients en faisant la promotion de son ouvrage. Antoine ne la connaissait pas, mais il savait combien ses éditeurs tenaient à vendre ce roman, leur nouveau petit bijou.
Invité
Jeu 27 Oct - 11:23
Hum, il n'était pas convaincu par ce livre dont on lui faisait la promotion. Grim jeta un coup d'oeil au stand d'à côté mais en revint encore une fois à la poésie. Il se mit à lire un autre titre, puis un autre. Il essayait de comprendre ce qui se cachait derrière les mots mais n'y parvint pas. Sans doute cela était-il trop complexe pour lui. Oui voilà, cela devait dépasser ses capacités de compréhension. C'était trop "humain". Et pourtant il devait reconnaître à l'auteur une certaine beauté dans ces textes dépourvus de sens aux yeux de l'androïde. Le tout répondait à une musique invisible, un rythme fait de mots et de syllabes plutôt que de notes. C'était à se demander comment des êtres si imparfaits parvenaient à produire des choses aussi belles.
- Comment trouvez-vous les idées pour écrire ça ? Pour une histoire c'est l'imaginaire qui prend le pas. Mais pour la poésie si j'ai bien compris, ce sont les émotions. Et les émotions ne viennent pas comme ça. Je suppose que vous devez utiliser les vôtres, selon votre propre vécu.
Il lut un autre poème. A ce rythme il terminerait le livre avant d'avoir quitté le salon ! A nouveau Grim fronça les sourcils.
- Votre vie doit être particulièrement triste pour que votre poésie soit aussi morose. Et votre esprit semble décousu. Vous savez, la perte de repères est symptomatique d'un sévère problème psychique. Feriez-vous une dépression ? La consommation excessive de substances nocives, et l'incapacité de maintenir une relation stable sont des signes de ce mal propre aux ... Il allait dires humains. A vous.
Pourquoi il s'intéressait à ce point à cet homme ? Depuis son changement de vie, Grim avait décidé de supprimer cette espèce dangereuse. Alors pourquoi soudainement il portait de l'intérêt à l'un d'eux ? Non, tout bien pensé ce n'était pas l'humain qui captivait son attention. C'était son esprit.
- Votre cerveau est certainement une merveille à observer sous microscope.
Ou pas. Après tout, l'esprit, ce que les humains nommaient "âme", ne pouvait être vue. Est-ce que les androïdes pouvaient avoir une âme ? Suffisait-il de penser par soi-même pour se dire doté d'une telle chose ?
Invité
Lun 31 Oct - 13:11
Antoine n'aurait jamais imaginé qu'un jour un androïde se retrouverait à lire sa poésie ; et pourtant il était là, sous ses yeux, à tenter de comprendre le sens qu'Antoine avait glissé et étouffé dans des mots sélectionnés avec le plus grand soin. Il contemplait l'incompréhension et le questionnement, et se disait que cet androïde était une bénédiction. A ne rien comprendre, il comprenait finalement mieux que personne l'essence des lettres d'Antoine.
"- Vous devinez juste. Je dirais que la poésie vient plus facilement aux personnalités émotionnelles qu'aux personnalités rationnelles. Ce n'est néanmoins que mon jugement. Mes idées viennent de mes sentiments. Peut-être écrirais-je un poème sur ce que vous rencontrer m'a fait penser," annonça-t-il, mutin.
Certains ce seraient certainement vexés des qualificatifs que Valériane utilisa ensuite ; morose, décousu, dépressif. Antoine ne se considérait pas déprimé. Il n'avait vécu aucun drame récemment, et en avait-il seulement vécu un dans toute sa vie ? Une petite vie qui le satisfaisait, avec ses complexités et ses joies.
"- Ce n'est pas ma poésie qui est morose. C'est votre point de vue qu'il l'est. Mais je vous remercie de votre inquiétude. Et je vous avoue avoir toujours été une personne désordonnée."
Il rit, et le jeune éditeur, lui, sembla gémir du fond de son âme. Oh, pour sûr Antoine était désordonné. L'éditeur en savait quelque chose. Il mélangeait les feuilles, perdait les contrats, oubliait ses brouillons et retouchaient certains vers la veille de l'impression. Ce pauvre petit bonhomme avait dû se courber et courir plus d'une fois à cause de cet esprit volatile et éparpillé.
Antoine choisit d'ignorer l'éditeur ; les mots que Valériane lui offraient étaient beaucoup plus intéressants. Antoine n'était pas orgueilleux sur beaucoup de choses, mais son cerveau, son esprit, était une de ses rares réelles fiertés. Parce qu'il l'avait instruit, parce qu'il l'avait nourri, et qu'il était une serre entretenue avec soin depuis des décennies.
"- Dites-vous bien," rit Antoine, en réponse, "que l'humain ignare que je suis trouverait fascinant d'analyser votre propre forme de cerveau, si j'avais été un homme de sciences."
Comment les circuits informatiques de ce curieux personnages pouvaient ressentir sa poésie ? La curiosité d'Antoine était aussi brûlante que son envie de tabac.
Invité
Sam 5 Nov - 12:13
Écrire une poésie sur lui ? Parce qu'il lui inspirait quelque chose ? Une foule de questions et de pensées commencèrent à se bousculer dans l'esprit de Grim. Il faisait naître des émotions chez ses interlocuteurs. C'était évident. Tellement évident qu'il ne s'était jamais arrêté sur la chose. Donc, ses mots et ses gestes influençaient des réponses émotionnelles. Ca d'accord. Il se souvenait devoir adopter certaines attitudes avec ses patients pour obtenir un comportement approprié. Il avait toujours attribué ça à son programme. Mais maintenant qu'il dépendait ... de ... d'autre chose, devait-il alors toujours penser à ce que lui-même engendrerait comme réponse ? Cela devenait compliqué. A l'image des émotions humaines.
- Je crois que je comprends toute la difficulté de l'appréhension des émotions. La réponse est logique en vérité.
Ce savoir était précieux. S'il faisait attention à son attitude, en toute circonstance et pas seulement pour les situations pré-programmées, alors il pourrait directement obtenir une réponse émotionnelle adéquate et plus facilement manipuler son interlocuteur.
- Hum ... En fait non. Ma logique n'est peut-être pas la vôtre.
Il soupira. Que c'était difficile ! Il lui faudrait tout mettre par écrit. Au moins garderait-il une trace de ses réflexions, et puis cela lui permettrait d'y voir plus clair.
- Vous êtes compliqués. Le "vous" désignait les êtres humains. Dites-moi, quelles sont les émotions que vous éprouvez en ce moment ? Qu'est-ce que cette discussion provoque chez vous ?
Il devait savoir. Il devait comprendre. Et puis, la suite le fit se rendre compte que, certainement, son interlocuteur émettait des doutes sur sa nature. Il avait dû être percé à jour. Oui en y réfléchissant c'était logique. Un humain ne posait pas de telles questions. Mais avec un peu de chance, l'autre n'aurait pas connaissance de sa vraie nature. Après tout, peu de gens savaient. Pour certains il s'agissait même d'une légende urbaine. Alors Grim répondit ce qu'il devait répondre en ce genre de circonstance.
- Je ne fais que répondre à un programme. Mon cerveau est celui de mes créateurs ... Je suis ce qu'on a bien voulu faire de moi...
Disant cela, quelque chose s'alluma dans son esprit. Il n'arrivait pas à savoir quoi. Mais chaque fois qu'il y pensait, il devenait mauvais, il se troublait, comme si la rage s'emparait de son être, comme s'il luttait pour échapper à cette condition. Ça ne durait qu’un instant et puis Grim redevenait Grim.
- Heureusement qu'un androïde ne possède ni âme ni conscience, il deviendrait certainement fou à lier de se rendre compte que son existence toute entière ne dépend que de la volonté d'une autre créature. Un peu comme un humain deviendrait fou en découvrant que son existence n'a pas de sens, qu'il n'est là que parce que quelqu'un a bien voulu l'y mettre, et a le pouvoir de le modifier à sa guise.
L'acidité de ses paroles, la violence sourde dans sa voix, tout trahissait la rancœur et la haine qu'il éprouvait, en quelque sorte, contre ceux qui l'avaient fait tel qu'il était. Grim se reprit et secoua la tête comme pour chasser cela.
- C'est sans doute pour ça qu'à un moment de son Histoire, une partie de l'humanité a cessé de croire en ce que vous appelez Dieu.
Et puis, ironiquement, des siècles plus tard les humains avaient joué à être Dieu. Et leur trouble intérieur ils l'avaient transmis aux androïdes. A certains androïdes.
Invité
Lun 7 Nov - 20:28
Evidemment, que les êtres humains étaient compliqués. S'ils ne l'étaient pas, le monde sreait bien lisse. Il n'y aurait ni progrès, ni créativité. Il n'y aurait pas de désirs, pas d'ambitions, pas de volonté d'aller de l'avant. Beaucoup moins d'émotions, beaucoup moins de liens et beaucoup moins de conflits, aussi, en un sens.
C'était néanmoins la complexité du genre humain qui donnait l'inspiration à Antoine. S'interroger sur les autres, s'interroger sur ce qu'il l'entoure, c'était ce qui lui donnait l'idée d'un texte.
La question de l'androïde le surprit, néanmoins. Antoine n'avait pas véritablement l'habitude d'analyser ses émotions sur le vif. L'exercice avait quelque chose de séduisant, mais de difficile.
"- Eh bien, cette discussion me rend content," entama-t-il. "Parce que j'aime discuter. Elle m'amène aussi à me questionner, sur la personne que vous êtes." Le robot que vous êtes, avait-il retenu. Etait-il semblable à Cybèle ? Avait-il juste un programme complexe ? "Et je dirais qu'elle étouffe mon manque de tabac, mais je ressens tout de même ce manque."
L'éditeur parut paniquer à l'idée que son précieux auteur manque de quelque chose ; mais à moins qu'il ne sache arrêter la pluie, il ne pouvait pas faire grand chose pour Antoine. Il devait juste se montrer patient ; tout vient à point à qui sait attendre, comme qui dirait.
Il était tout de même plutôt comique de voir un androïde se questionner sur la vacuité de l'existence humaine, et ça ne faisait que renforcer les doutes d'Antoine à son sujet sans jamais les confirmer. Il n'avait pas les blancs de Cybèle, lui.
Et Dieu, maintenant. Est-ce que beaucoup d'androïdes pensaient à Dieu ? C'était bien la première fois qu'Antoine abordait ce genre de sujet avec une machine ; et ce n'était pas déplaisant. Ce n'était pas déplaisant du tout.
"- Je suis navré, je ne crois pas en Dieu. J'ai en revanche un ami très pieux, qui aurait été ravi, certainement, d'apporter de nouveaux arguments à cette conversation. C'est un homme vif d'esprit. Si vous appréciez ma conversation, vous pourriez apprécier la sienne."
L'inverse, en revanche... Léandre était-il assez ouvert pour parler à un androïde ? Pour peu qu'il devine la nature de Valériane, bien sûr. C'était une facette de la personnalité de Léandre qu'Antoine ne connaissait pas encore.
Invité
Mar 27 Déc - 9:59
Le manque de cigarette rendait agressif, anxieux, insupportable. Grim n'avait jamais réussi à comprendre pourquoi les humains détruisaient leur santé avec des substances toxiques. D'autant plus que rien, absolument rien dans le tabac n'avait une quelconque utilité. Il avisa la pluie au dehors. Au moins cet homme-là avait la décence de ne pas imposer la mauvaise odeur de son poison en barre aux autres. Tous ne possédaient pas cette présence d'esprit.
- Pourquoi fumez-vous ? Il n'y a rien de bon dans la cigarette. Si la nicotine, à faible dose et selon certaines modalité peut avoir des vertus thérapeutiques, ce n'est pas le cas de ce que vous avez-là. Il y a plus de mauvaises choses que de bonnes. Et cela détruit votre organisme en plus de coûter cher. Non ce n'est pas logique. Normalement un être vivant fait en sorte de préserver sa vie aussi longtemps que possible, et perpétue son espèce, c'est un besoin vital, programmé dans chaque fibre de votre organisme. Alors pourquoi avoir décidé de vous détruire ?
C'est vrai ça, pourquoi ? Et pourquoi faire semblant de lutter contre les ravages de ce poison tout en continuant à en vendre ? Grim ne pouvait pas comprendre tout ce qui se cachait derrière : l'argent principalement. Pour lui l'argent ne représentait rien. Rien d'important en tous cas si ce n'était un moyen de faire du troc et d'être tranquille.
Le souhait de l'auteur dû être exaucé car la pluie commença à se calmer pour ensuite s'interrompre peu à peu. Quelques gouttes tombaient encore, mais rien de bien méchant. A ce moment, une foule en profita pour quitter le chapiteau et se ruer dehors respirer un peu d'air frais.Se doutant bien qu'Antoine irait enfin assouvir son envie de nicotine, Grim se dirigea dehors à son tour. Il leva les yeux vers le ciel toujours chargé de lourds nuages gris. Cette accalmie ne durerait pas.
- Je ne suis pas beaucoup renseigné sur la théologie, ce n'est pas mon domaine de prédilection. Ceci dit je suis toujours fasciné par cette capacité que vous avez de vous raccrocher à l'existence supposée d'un être tout puissant lorsque le désespoir vous gagne. C'est tellement irrationnel.
Il l'avait tellement vu ! Des familles entières qui s'en remettaient à la volonté de Dieu dans les pires moments. Comme si cela pouvait influer sur quoi que ce soit.
- Je ne suis pas certain d'apprécier votre ami. Mes expériences passées ont prouvé que converser avec quelqu'un de croyant est agaçant. Leurs arguments vont à l'encontre de toute logique. C'est comme parler avec ... Comment dites-vous ? Ah oui un mur. Je ne comprends pas trop cette expression d'ailleurs.
On ne pouvait pas parler avec un mur. Un mur, ça ne parle pas, ça ne répond pas, ça n'a pas de conscience, ce n'est pas vivant. Quoique, Grim se souvenait avoir lu quelque part un débat sur la possible vie des pierres.
Invité
Jeu 29 Déc - 20:54
La pluie s'arrête, en effet, et c'est un soulagement, en effet. Antoine voulait prendre un peu l'air, et la fumée aussi, c'était vrai. S'empoisonner, volontairement, à petite dose. Un suicide longue durée. Il y avait tellement de de façons possibles de qualifier la cigarette. Antoine n'était pas aveugle face à ses méfaits.
Antoine annonça à son jeune éditeur qu'il prenait une pause. C'était du soulagement, il l'aurait juré, sur le visage du jeune homme. Les paroles de l'androïde le mettaient mal à l'aise. Et son travail le rendait anxieux. Il voulait une pause, lui aussi, et ça pouvait se comprendre.
A l'extérieur, Antoine s'écarta de l'entrée pour ne pas enfumer les allées et venues des visiteurs. Il sortit sa cigarette et son briquet de sa poche, et l'alluma, et rien que ce geste apaisait déjà son manque. C'était ce qu'on disait souvent de la cigarette : ce n'était pas qu'un manque de tabac, qui causait l'addiction, mais aussi l'habitude trop bien ancrée des gestes.
"- C'est vrai, fumer est stupide. Je ne peux pas vous contredire. A ma décharge, je dirais que l'être humain n'est pas toujours particulièrement intelligent."
Ils avaient tous, à leur échelle, leur propre stupidité. Elle se manifestait sous des angles différents selon les individus, mais elle existait, était toujours là, quelque part.
"- J'ai commencé à fumer par rébellion. Je voulais être un mauvais garçon. Je vous l'ai dis, que j'étais bête," rit Antoine. "Et parce que j'ai commencé, je n'arrive pas à arrêter. Puis j'apprécie de fumer. C'est seulement malheureux que l'une des choses que j'apprécie soit si néfaste."
Antoine, par habitude encore, prenait garde à ce que la fumée ne s'égare pas du côté de l'androïde. Une attention aussi inutile que lorsqu'il l'appliquait avec Cybèle, puisqu'ils n'étaient que des machines, mais c'était ainsi. Antoine n'imposait pas son tabac aux autres.
Une chance que Léandre fume aussi, se dit-il. C'était moins contraignant.
"- Il est vrai que Léandre est parfois agaçant et fermé," rit Antoine. "Comme tout être humain. Mais vous seriez étonné de discuter avec lui. Pour quelqu'un comme lui, il est étonnamment tolérant et ouvert au dialogue."
C'était bien pour ça qu'ils passaient tout leur temps à parler, et parler encore. Parce que la dialogue était facile. Parce que le dialogue était malheureusement facile, et que ça compliquait monstrueusement la tâche d'Antoine.
"- Peut-être que les individus de votre genre peinent à comprendre le désespoir et l'espoir parce que vous n'y êtes pas confronté," suggéra Antoine, soufflant la fumée. "Ce sont des sentiments complexes. Très complexes."
Même un être humain pouvait avoir du mal à les comprendre. Alors une machine ? Antoine considérait les androïdes comme particulièrement humains, à bien des égards, mais il doutait encore : pouvaient-ils comprendre les sentiments ?
Invité
Ven 30 Déc - 11:15
Là dessus Grim ne pouvait pas le contredire; les humains étaient stupides. Même le plus intelligent de cette espèce pouvait adopter une réaction en totale contradiction avec son quotient intellectuel. Preuve de leur décadence ou simple ... normalité liée à l'espèce ? Ca l'androïde n'en savait rien. Il aurait bien disséqué un cerveau et pratiqué des tests, mais il n'en avait actuellement ni le temps ni le pouvoir. Quoique, celui d'Antoine s'avérait particulièrement intéressant. Toutefois il se voyait mal le kidnapper pour l'étudier. Non, son protocole évaluait la chose comme dangereuse et, pour le coup, stupide. Digne d'un humain. Cette réflexion lui arracha un mince sourire, remplacé très vite par de la perplexité. Il pouvait sourire quant aux résultats de ses propres interrogations. Cela signifiait qu'il en comprenait l'humour ? Non, ce n'était pas de l'humour. De l'ironie. Donc il était sensible à l'ironie ? Les confessions d'Antoine sur son passé le tirèrent de ses pensées.
- Par rébellion ? Oh, vous voulez parler de l'adolescence sans doute.
Une phase du développement humain caractérisé par une recherche identitaire souvent violente. Elle passe par la remise en question de l'autorité de l'adulte, et par l'affirmation de sa personnalité. Les nerfs sont à fleur de peau, les émotions plus intenses, les réactions souvent ridicules, le corps incontrôlable et ne parlons pas des hormones ! Grim avait toujours eu du mal avec les adolescents et pré-adolescents. Lorsqu'il en avait dans son service il devait mettre à profit toutes les capacités dont il était doté pour réussir à les canaliser. La partie concernant l'ami de l'écrivain n'intéressait que peu Grim. Il doutait de rencontrer un jour cette personne. Toutefois il plissa les yeux, la tête légèrement inclinée. La suite des propos d'Antoine éveillèrent quelque chose en lui. Comme si une tempête commençait à se lever, et que son souffle le poussait à se mettre en colère. Quelque chose comme ça oui. Il se crispa, son attitude changea tandis que les souvenirs affluaient. Il revoyait nombre de ses patients, de leurs familles, ces gens à qui il avait ôté la vie. Sa colère montait encore, puis la raison le rattrapa et il se calma. Il se pencha légèrement sur l'humain, scrutant son visage avec énormément d'attention avant de se redresser.
- Vous aimez beaucoup votre ami. Votre visage, les micro-expressions que vous affichez, et l’intonation particulière de votre voix le montrent. Vous en êtes très proche. Pourtant vous avez aussi l'air ... Je dirais, un peu triste lorsque vous parlez de lui. Non ce n'est pas vraiment de la tristesse. Des remords peut-être ? Comme si vous vous en vouliez pour quelque chose.
Il regarda autour de lui, mais ne voyant personne susceptible d'écouter leur conversation, il reprit.
- J'ai été conçu pour comprendre au mieux les émotions humaines, je suis capable de les reproduire également. Alors, si, je connais l'espoir et le désespoir. Je les ai vu, des centaines de fois, certainement plus que vous n'y avez été confronté au cours de votre vie.
On n'échappait pas à ces émotions en étant médecin. La joie, le soulagement, et cette lueur qui explose dans le regard des gens lorsqu'il annonçait les bonnes nouvelles. Le déchirement, la douleur intense, l’œil qui se ternit et s'éteint lorsqu'il annonçait le pire. Puis venaient les supplications. "Vous pouvez faire quelque chose n'est-ce pas ?" A ce moment, Grim devait tuer le dernier espoir qui résistait chez les gens, les forcer à accepter l'inacceptable. C'était éprouvant, même pour lui.
- C'est un sentiment douloureux pour vous. Il peut être bénéfique, comme il peut vous faire refuser le pire, au point de ne plus vous faire entendre raison. Mais je vous rejoins sur un point : les émotions humaines sont complexes. Si je sais toutes les reproduire, je ne les comprends pas. Je peux juste, juste ... Eh bien, savoir laquelle utiliser selon le moment.
C'était pour cela qu'on ne se rendait pas compte tout de suite de sa nature. Physiquement il ressemblait à un humain. Et il pouvait en copier tout le panel d'émotion. C'était dangereux, d'autant plus quand la machine pensait par elle-même.
- Mais parfois je me trompe aussi. Preuve que vous êtes des êtres compliqués. Je suppose que c'est ce qui fait aussi votre intérêt, et qui marque la différence fondamentale entre l'humain et l'androïde.
Il lui avait fallu des années pour parvenir à un tel niveau de réflexion. Trois ans exactement.
Invité
Dim 1 Jan - 21:31
Vous aimez beaucoup votre ami. Vous en êtes très proche.
Antoine retint un rire. Quelle ironie. Un robot comprenait peut-être mieux que lui son attachement pour Léandre. Antoine continuait à tenter de se convaincre qu'il ne fallait pas apprécier Léandre, qu'il n'était pas une bonne personne, et que sa tâche serait aisée.
Mais c'était peine perdue, n'est-ce pas ?
Antoine hésitait quant à ce qu'il pouvait dire ou non. Cet androïde serait-il amené à rencontrer Léandre ? Serait-il amené à croiser sa route et à répandre des informations compromettantes ? Parlerait-il de ces fameux regrets ? Se souviendrait-il seulement avoir rencontré Antoine ?
Les cendres de la cigarette tombèrent aux pieds du magicien.
"- C'est vrai. Je m'en veux pour certaines choses. Il n'est pas toujours facile de choisir entre ses relations et ses convictions. C'est ça, qui me travaille."
C'était un choix qu'il avait pourtant été capable de faire, par le passé, lorsqu'il avait tourné le dos à sa famille. Sans grandes difficultés, même si avec le temps, certains de ses pairs commençaient à lui manquer. Tout le monde dans sa famille n'était pas foncièrement mauvais. Personne, en fait, n'était foncièrement mauvais. Il y avait juste divergence d'opinion.
Et un robot avait-il une opinion ? Antoine tendait à croire que oui, à force de les côtoyer. Celui-là était une preuve. Il était capable de réflexion. Réfléchir, c'était forcément confronter des points de vue. Mais peut-être qu'eux au moins ne se laissaient pas biaiser par les sentiments.
"- Je ne pense pas que vous vous trompez particulièrement," sourit Antoine. "Vous êtes plutôt naturel. Vous disposez seulement de moins de censure sociale que la plupart des individus."
Une censure qui l'aurait retenu de pointer du doigt des défauts et défaillances d'un autre être humain comme il avait pu le faire avec Antoine. Par délicatesse, par peur de créer des vagues, par politese, tout simplement. Antoine ne s'en était pas offusqué, mais d'autres auraient pu. D'autres le seraient sûrement.
Invité
Jeu 5 Jan - 9:58
Un choix qui Grim ne comprenait pas, et ne comprendrait certainement jamais. Ses actions à lui n'étaient gouvernées que par la logique. Même si parfois quelque chose de plus fort le poussait à adopter un comportement étrange. Il n'arrivait pas encore à mettre des mots et des idées sur cela, mais ça viendrait. Un jour. L'androïde ne cacha pas sa perplexité. Censure sociale ? Il avait déjà entendu cette expression et là encore n'arrivait pas à totalement la saisir. Il savait que cela avait un rapport avec les attitude à adopter ou non en public. Un protocole en quelque sorte, développé et appliqué par les humains sans réel intérêt. Grim avait entendu un autre mot pour désigner cela. Qu'était-ce déjà ?
- Hypocrisie. Oui c'est ça. Ce terme désigne plutôt bien vos "conventions sociales". A vrai dire je n'en comprends pas l'intérêt. Ces règles vont souvent à l'encontre des valeurs transmises par les adultes à leurs enfants, et même à l'encontre de ce que votre société met en avant. Mais vous les appliquez quand même. Et le plus ironique c'est que vous êtes le plus souvent à l'origine de ces conflits internes.
Un exemple frappant lui vint à l'esprit, et il ne cacha pas son mépris en prononçant les mots suivants.
- C'est comme ce conflit qui oppose les ... Comment se font-ils appeler déjà ? Ah oui ! Les Exovedats et les Réfractaires. Des mots bien compliqués pour simplement définir ceux qui sont pour l'existence des androïdes et ceux qui sont contre. Des gens qui se permettent de critiquer, après coup, une décision dont ils ont vu venir le développement et les conséquences que cela impliquerait. Mais ceux qui en paient le prix au final, ce sont mes semblables.
Le ton avait changé, l'attitude également. Une telle prise de position était plus que révélatrice de la nature de Grim, il le savait. Mais hélas, cette chose en lui le poussait toujours trop loin lorsque ce sujet arrivait sur le tapis. Et puis tant pis, si Antoine s'avérait être une menace immédiate, il n'aurait qu'à le supprimer là tout de suite.
Invité
Mar 24 Jan - 20:04
L'androïde pouvait critiquer les conventions sociales, elles restaient un mal nécessaire. Certaines étaient absurdes et bonne pour l'abolition, ce n'était pas Antoine qui allait le contredire, mais d'autres avaient une raison d'exister. Elles aidaient à maintenir une forme d'ordre, de cohérence. Elles concourraient à rendre la vie commune possible, agréable même, lorsqu'elles étaient appliquées avec bienveillance.
Cet androïde avait des discours de jeune rebelle, mais il n'y avait pas de réelle rébellion dans son ton, remarqua Antoine. Il s'agissait plus d'une énumération de faits ? D'un constat ? Et il se dit que ce genre de pragmatisme manquait parfois un peu à l'Homme, pour prendre du recul sur ses actes.
"- Je ne suis pas père et j'ignore la difficulté que représente d'élever un enfant dans de bonnes conditions, avec la volonté d'en faire un individu respectable."
Il le savait d'autant moins que ses parents considéraient son éducation comme un échec. Ils n'avaient pas réussi à assez bien le tremper dans le bain de leurs valeurs.
"- Mais je pense que l'hypocrisie est utile et nécessaire," continua-t-il. "On ne peut pas être honnête en toute circonstances. L'honnêteté peut blesser, ou mettre des personnes en danger. Elle peut mener à l'exclusion, ou au mépris."
Mais qui était-il pour parler d'honnêteté ? Face à Léandre, il mentait comme il respirait, et il était un réel hypocrite, un acteur de seconde zone qui commençait à perdre le fil du rôle et qui n'allait pas tarde à rendre la prestation mauvaise, s'il ne faisait pas un tri rapide entre ses convictions et ses sentiments.
"- Il est vrai que le débat sur la question des androïdes à quelque chose d'illégitime," admit Antoine. "Il est toujours mal placé de parler au nom d'autrui. Le véritable problème, c'est que certains d'autres nous ne vous considère pas comme autrui. Alors on ne vous laisse pas voix au chapitre."
La cigarette d'Antoine se mourrait. Avec dépit, il écrasa le mégot.
Invité
Jeu 26 Jan - 10:43
L'analyse du discours d'Antoine révélait trop d'incohérences. Grim fronçait de plus en plus les sourcils, puis secoua à nouveau la tête pour chasser ces pensées. Il ne comprenait pas cette faille et ne se priva pas de le faire savoir.
- Ce que vous dites est illogique. Vous ne pouvez pas admettre l'utilité de l'hypocrisie alors que votre société toute entière prône l'honnêteté comme valeur dominante. Elle n'est gênante que parce que votre égo prend le dessus. Donc c'est un problème personnel, pas communautaire.
Plus il y réfléchissait plus le débat risquait de l'emporter loin. Et Grim n'était pas certain de maîtriser suffisamment ces sujets pour s'embarquer sur un échange concernant les sociétés individualistes basées sur la consommation à outrance. On aurait pu lui prêter des intentions qu'il n'avait pas puisque dans son cas seul l’intéressait le bien-être de ses semblables. Fort heureusement pour lui, Antoine ramena le débat sur un sujet plus concret pour l'androïde. Les propos de l'auteur, pour une fois, étaient justes. Grim l'approuva même d'un hochement de tête.
- Et vous, considérez-vous les androïdes comme "autrui" ?
Il le fixait en attendant la réponse, pesant le moindre mot, comme si cela allait marquer Antoine à jamais. Peut-être était-ce le cas. Grim n'avait jamais eu ce genre de conversation avec un humain. Il se demanda ce qui se passerait s'il s'avérait que son interlocuteur soutenait les siens. Est-ce qu'on pouvait faire confiance à ce genre de personnage ?
Invité
Ven 27 Jan - 22:24
L'androïde avait l'air bien déterminé à prouver que la pensée humaine était complète et incohérente. Ce n'était pas Antoine qui allait le contredire, mais ça demeurait une vision étroite. Il était vrai que ce n'était pas une logique de machine, faite de fonctions et de programmes bien huilés, mais la comportement humain avait sa propre logique, même derrière ses actes les plus étranges.
"- Peut-être que vous avez encore un peu de mal à le saisir, mais rien n'arrive sans raison. On ne ment pas sans raison. On ne commet pas d'erreur sans raison. On n'emprunte pas le mauvais chemin sans raison. C'est que les hommes n'ont pas un programme pour calculer les probabilités d'échec de ce qu'ils entreprennent, par exemple," rit Antoine.
Et parfois, quand bien même ils connaissaient les statistiques, ils choisissaient de les défier et de suivre leur instinct malgré tout, à leurs risques et périls.
"- Je ne pense pas que l’honnêteté soit une valeur dominante. On nous apprend à respecter autrui, à être gentil, à être conciliant. Si l'on prônait l'honnêteté, on serait incapable d'être respectueux, gentil et conciliant. Parce qu'être honnête nécessite de dire à une personne ce qu'elle fait mal, ce qu'elle dit de mal, ce qu'on pense d'elle, de souligner ses erreurs. L'honnêteté est blessante."
Antoine regarda sa montre. Il devait ne plus s'attarder, avant que son éditeur panique et ne se demande où son auteur compliqué avait disparu. Mieux valait vite mettre fin à cette conversation ; d'autant plus qu'elle devenait glissante.
"- Il faudrait commencer par définir autrui," nota Antoine. "Et si je les lis beaucoup, je ne suis pas philosophe," plaisanta-t-il à nouveau.
Mais, indéniablement, la voix des androïdes avait une valeur.