Laissons entrer le soleil, Julien Clerc (1969)


La réponse n’attend pas.
L’autre, devant lui, tout aussi roux, sourit, accepte la proposition en une phrase de franglais, avec cet accent marqué, atypique que Johann n’a pas.
Le gars en face doit être un peu ontarien mais cela ne le dérange pas, il ne fait pas parti des  vieux racistes du Quebec profond. Francophone, anglophone, aphone, lui tout lui va et  le musicien fend ses lèvres d’une esquisse chaleureuse qui déforme sa joue sous une fossette de joie.

« Perfect ! So go guy. »
Il tend la main au jeune homme qui l’attrape énergiquement, se relève sous l’aide, lui emboite le pas à la suite. Tôt fait, suivis des regards étonnés de voir le binôme poil de carotte, ils arrivent sur l’estrade et le roukmout à lunettes de soleil ne perd pas de temps, se dirige vers l’estrade, pioche un bout de papier dans l’urne. Il déplie le petit morceau blanc, le passe au musicien qui pouffe, le visage fendu d’un sourire.
Bain et ballade des chiens de la SPA

Ça va être fun. A tout les coups ils vont finir tremper à courir comme des dératés pour rattraper un clebs qui s’est échappé.
Ça lui plait et il  demande familièrement son prénom  à son camarade de galère pour présenter à la foule leur action.
L’autre répond.

« Ben. Benjamin ».
« Ok mon poulet …» .

Après la fuite du chihuahua roux névrosé,  la gueulante et le départ  théâtrale de la petite nana  hargneuse, les beaux mots et les beaux gestes pleins d’émotions de l’homme avec une  tête de petit catho’ et de son acolyte "ken qui a volé les cheveux de barbie" , Jo’ s’empare du micro et avec assurance et décontraction, s’adresse à la foule.

« Salut tout le monde. Bon moi j’aurais pas de drama ni d’beaux mots alors j’vais juste vous présentez notre action ! Ben ici présent – il montre d’un mouvement de main l’homme à ses côtés,- et moi-même Jo, on va aller faire prendre un bain et promener des toutous de la spa… Et hum… Vous voulez un bisou fusion d’roux ? »

La foule clame un long « oui » sonore et enthousiaste et Johann se tourne amusé vers son coequipier.

« Alors le bisou ? Moi j’men fous mais t’sens pas forcé ! »

Ils sont là pour s’amuser et déconner et voler un baiser non souhaité ne rentrait pas dans les bails d’un bon jeu.

Laissons entrer le soleil, Julien Clerc (1969)


Si Johann s’attend à une quelconque réponse ? Il est évident que non.
La foule veut un baiser et l’idée l’amuse. Fidèle à lui-même, il a donc balancé à son binôme sa question sans pression, sans songer d’avantage à l’accord ou au refus.
De toute façon, « Oui », « Non », là n’est pas l’important . Ce qui compte, c’est la réaction de l’autre et Jo’, tout à son partenaire, le défigure, le regard brillant d’une curiosité visible. Il n’attend que la réponse du gars qui, après un instant de réflexion, lance un accord à l’arraché, répond d’un mouvement d’épaules pour appuyer son propos.

« Ouais, aussi ben leur donner un show. Viens là ».

Tout va très vite à cet instant. Son partenaire enlève ses lunettes, le tire vers lui et l’embrasse. Un kiss de rien du tout qui, à peine commencé est déjà fini, fait éclater dans la salle un tonnerre d’applaudissement et quelques cris ravis, aussi bien graves que plus aigues.

Johann hausse les sourcils, ouvre grand les yeux de surprise mais il est déjà trop tard, le baiser est fait.
Il éclate de rire, sourit pleinement quand le gars lui fait un clin d’œil et balance une boutade à propos de la foule, des nanas qui la compose, pour être plus précis.

« T’as bien raison ! »

Il lui a murmuré la remarque en aparté, reprend le micro après que son partenaire ait lancé ses derniers mots de franglais, apostrophe le maitre de cérémonie, balance une ultime phrase joyeuse et sonore avant de lui rendre définitivement son bien.

"NEXT ! SHOW MUST GO ON !!!"

Clin d’œil et esquisse furtive au petit couple dépareillé à leur côté.
C’est à leur tour maintenant d’assurer le spectacle et sous cette pensée, le musicien saisit le bras de son cavalier, l’entraine entre les tables.

Ils avaient fait leur part du taff alors maintenant, loin du show, il était de leur devoir de discuter, question de savoir avec qui chacun passerait son 14 février.