Elle est sagement assise sur une chaise, cette chère poupée. Elle est l'effigie d'une sainte, la tête légèrement renversée sur le côté, les yeux mi-clos concentrés sur son ouvrage. Entre ses longs doigts délicats - de pâles mains de pianiste- se tient le petit bout d'étoffe brodée de fleurs, fruit d'une inépuisable patience. Ses longs cils tremblent toujours un peu, frileux, retenant toujours ses larmes imaginaires. A chaque battement, ils capturent les images qu'elle expose ensuite dans son musée intérieur. Elle aime le visiter à ses heures perdues, ce musée aux murs couverts de toutes les images qu'elle ne veut pas laisser partir.
Les bougies à sa gauche projettent leurs couleurs sur l'ovale de son visage. C'est un visage émouvant aux traits doux et espiègles, un visage d'enfant incertaine d'être devenue femme. Ses yeux forment une mandorle autour d'une iris noisette - rougeoyante dans la lumière des flammes, remplis d'éclats de ciels et d'ombres accidentelles. Un visage sur lequel courent un troupeau de tâches de rousseurs sur un petit nez en trompette, un visage où une timide fossette se glisse parfois lorsqu'elle sourit. Cet immaculé sourire ne fut jamais sali par l'ombre du mensonge. Son visage ingénu est à l'image d'une âme aimante. La courbe de ses yeux étreint le monde entier au sein de son amour universel.
Des mèches de jais traînent, paresseuses, sur son front blême. Même négligé, son chignon témoigne d'une élégance qui empreint le moindre de ses gestes. Elle évolue dans le monde avec la grâce d'une ancienne ballerine et l'humilité d'une martyre. Une discrète affectation teinte chacun de ses gestes, alors qu'elle s'applique à ne pas se piquer avec son aiguille. C'est une fille qui voit tout, Anna, rien ne lui échappe. Sauf elle. Quand elle parle, sa voix aux inflexions légères témoigne avec pudeur d'une émotion contenue. Elle a la musicalité des êtres venus d'horizons incertains, la douceur maternelle de ceux dont le cœur ne fait pas de place à la haine. Cette silhouette presque immobile, cette sainte image, ne saurait hurler. Elle n'a jamais rien cassé. Comment pourrait-elle un jour devenir le tonnerre ?
Il y a pourtant bien une tempête qui gronde quelque part dans son cœur. Quelque part tout prêt de sa secrète péninsule ensoleillée. Elle se jette à corps perdu dans des passions qui la dévorent et qui brûlent vif l'ennui lancinant qui ronge son cœur. Histoire, littérature, peinture, musique, danse, couture... La demoiselle perfectionniste est une jusqu'au-boutiste qui cherche à toucher au feu de chaque chose. De chaque discipline elle doit connaître tous les secrets et ne saurait s'arrêter avant de la maîtriser parfaitement. De la même façon, quand elle s'implique dans une cause, elle s'y implique toute entière.
C'est un être agité, Anna. Une funambule prête toujours à être renversée - mais qui n'est encore jamais tombée. Le cœur confiant dans sa foi, elle observe le monde au-dessus duquel elle évolue et voit le feu universel qui anime chaque objet de la Création.. Elle brûle, elle aussi. Malgré le doute, malgré sa transparence, elle se jette dans les flammes, en permanence, cherchant peut-être la douleur qui fait vivre. Elle accepte tout sans concession : dans la grandiose mécanique du monde elle voit un dessein supérieur, dans lequel chacun à sa place. Petit fantôme aux yeux bruns, figure patiente et familière, elle avance les yeux bandés, elle cherche la lumière. Un jour, peut-être voudra-t-elle danser sur le fil d'à côté. Peut-être se rendra-t-elle compte que sa jeune vie n'est pas déjà toute tracée.
Personnalité en bref:
• Douce, tolérante, patiente. Anna est amicale et ouverte d'esprit.
• Curieuse, observatrice, subtile.
• Perfectionniste, jusqu’au-boutiste, critique.
• Incertaine, pacifique, redoute le conflit. Pudique, elle cache de son mieux des insécurités enracinées en elle depuis l'enfance.
• Peine à avoir du recul sur sa situation, fuie l’introspection, rechigne à voir ses cicatrices.
• Conciliante, naïve parfois, voit toujours le bon en autrui jusqu’à l’aveuglement. Laisse les autres lui faire du mal, ne sait pas se défendre par elle-même, ne s'en donne pas le
droit.• Sujette aux crises d’angoisse, martyre malgré elle.
• Très pieuse, catholique pratiquante, porte sur sa foi un regard apaisé. Très tolérante des croyances différentes des siennes tant qu'elles n'incitent pas à la violence.
***
"Toutes les femmes détiennent une petite racine d'indestructibilité, et le travail des hommes a toujours été de faire en sorte qu'elles s'en aperçoivent le plus tard possible." Chris Marker, Sans Soleil, 1963.- résumé:
Evénements résumés :
• 0-10 ans : élevée avec rigorisme dans une famille très catholique, fait tous ses sacrements aussi tôt que possible, catéchisme + éducation culturelle. Formatée dès le plus jeune âge pour devenir une future mère et une femme idéale.
• 10-15 ans : années collège compliquées dans un institut catholique privé, timide, a des difficultés à s’intégrer. Rencontre sa meilleure amie qui l’ouvre sur une littérature différente et change ses perspectives sur le monde. Se passionne pour la danse, découvre une liberté d’expression corporelle qui lui était inconnue jusqu’alors. Excelle dans tous les domaines, élève modèle.
• 15-18 ans : lycée, toujours en institut privé. Situation complexe alors que sa meilleure amie s’ouvre peu à peu sur son homosexualité dans un milieu très réfractaire. Choisit de prendre sa défense, s’éduque à la culture LGBT pour la soutenir. Rencontre un garçon, Peter : premier amour conflictuel entretenu en secret. Une relation abusive à laquelle Anna consent malgré elle sous la manipulation, n’aime pas Peter. Ses résultats scolaires baissent sensiblement, se jette à corps perdu dans la danse. Apprend qu’elle est enceinte. Se confie à sa meilleure amie qui l’accompagne dans les procédures d’avortement, réalisées dans le plus grand secret auprès du planning familial. Anna meurtrie questionne sa foi, révoltée par un monde intolérant et par son propre sentiment d’impuissance. Blessure à la cheville qui la force à arrêter la danse, blessure probablement créée par sa confusion.
• 19-23 ans : Fin de sa relation avec Peter dans les flammes, profondément meurtrie. Nuit de feu qui intervient après la mort de sa grand-mère dont elle était très proche. Nouvelle approche de la vie plus sereine, plus aimante, découvre sa foi et se laisse guider par elle. Commence à étudier ce qui la passionne et prend son indépendance, laisse libre court à sa curiosité sans la supervision de sa famille, malgré son père réticent qui voit ses études comme une distraction temporaire.
Rencontre Pandore après avoir entendu des rumeurs sur le Crépuscule titillant sa curiosité. Fascinée par la danse de l’Andréïde, elle se rend vite compte qu’elle est plus qu’une simple machine et se lie d’amitié avec elle. Se met à croire en la nature réelle de l’âme des andoïdes, extensions de la Création divine selon elle et rejoint les rangs des exovédats. Pour ne pas se faire remarquer et s’attirer les foudres de son père, elle y va « déguisée ». Découvre une fibre résistante/activiste et une jeunesse à laquelle elle n’a jamais pu gouter quand elle était adolescente. Conflit entre les valeurs familiales et ce nouveau monde qu’elle découvre et qu’elle affectionne de plus en plus. Proposition de mariage avec le fils Luissier, qu’elle accepte toujours meurtrie par son avortement, couverte de honte, de peur de tenir tête à son père qui la traite avec mépris depuis qu’il a découvert son secret, mais qu’elle voit aussi comme un raccourci vers la vie de mère qu’elle a toujours espéré. De plus elle apprécie sincèrement Léandre. Soulagée cependant quand ces fiançailles sont annulées, alors qu’elle s’engage de plus en plus personnellement avec les exovedats. Troublée cependant par le cas Antoine, qu’elle a vu une fois à un rassemblement exovedat avant qu’il ne meure.
I. Quand j'étais enfant, je parlais comme un enfant, je jugeais comme un enfant, je pensais comme un enfant. [Saint-Paul, « Epître aux Corinthiens »]***
J’ai grandi enfant sage et silencieuse. Jolie poupée à qui on n’avait pas besoin de dire
Reste là.
Tiens-toi droite.
Ne mets pas les coudes sur la table.
Ne bouge pas.
Je restais toujours assise en silence, la tête dans les nuages, le nez dans mon catéchisme. Enfant modèle, poupée de cire souriante et muette. Je répétais comme une boîte à musique la partition inscrite en moi par Père et Mère. J’étais leur fille unique, seule héritière du clan : il fallait que je sois parfaite. Et je l’étais, enfant prodige, digne fille du politicien, enfant d’une moralité impeccable placée sur un piédestal doré. Je ne comprenais pas le monde spirituel dans lequel j’ai grandi, alors j’imitais les grands. Je priais, je récitais mes leçons, je travaillais bien à l’école.
Petite fille virtuose, j’étais élevée pour ressembler à ma mère, qui était mon modèle, mon idéal. Un jour je serai une figure sainte comme elle. Je saurais tout faire, je serais une mère, j’élèverai mes enfants. C’est aujourd’hui encore mon vœu le plus cher, mais c’est un vœu que j’ai choisi.
Alors je m’entraînais à devenir petite femme. Danser, chanter, jouer du piano, coudre, peindre. Il fallait que je fasse tout, et que je brille partout. Il fallait que j’aie quelque chose de beau à transmettre.
Cela ne m’empêchait cependant pas d’être une enfant. Je n’étais pas malheureuse ou en manque d’affection. J’évoluais au milieu de concepts que j’étais trop jeune pour saisir – la foi, notamment, et je répondais à mes questions avec mes moyens d’enfants. Parmi eux Babouchka, la seule personne qui me traitait comme la petite fille que j’étais. Je garde au plus près de mon cœur les souvenirs d’après-midi ensoleillées à jardiner avec elle. Je me souviens de toutes les histoires qu’elle me racontait avant d’aller me coucher. De ses mémoires qu’elle écrivait en parlant quand je fus plus âgée.
C’est elle qui alluma très tôt ce feu dans mon cœur. C’est également elle, ancienne danseuse du Bolchoï, qui insista auprès de mon père pour que je fasse de la danse. Je ne la remercierais jamais assez. Babouchka était une tisseuse de rêves.
II. "Au fond de ce voyage, il y a l'amitié humaine. Le reste est silence." - Chris Marker, Coréennes, 1959.***
J’ai grandi, et avec moi les questions qui m’agitaient. Au sein d’un monde qui refusait de m’apporter des réponses, il fallu que je les trouve par moi-même.
Tout commença avec toi, Amelia. Toi qui n’étais pas comme les autres et qui m’entraîna dans ton monde en couleurs.
Les couloirs noir et blanc et les uniformes monochromes semblaient parés de toutes les couleurs tant que tu marchais à côté de moi. C’est à toi que je dois mon amour de la lecture, pendant bien longtemps corvée d’enfant sage. C’est avec toi que j’ai passé des nuits blanches à refaire le monde sous une tente montée au milieu de la chambre. Avec toi que j’ai pu sentir la chaleur du monde par-delà les barrières que je m’imposais depuis toujours. Toi mon amie au cœur de flammes, lion courageux. C’est pour toi que j’ai marché sur le chemin de la bravoure.
Nous étions collégiennes, tu te souviens ? Assises sur nos chaises, droites dans nos souliers cirés. Toi qui lisais tes livres cryptiques, tes yeux pleins de révolte. Tu n’étais pas comme les autres, Amy, et moi j’étais banale. C’était peut-être pour cette raison que je cherchais par tous les moyens ton attention, ton regard. Ton approbation. Je voulais être aussi libre que toi.
Je me trompais à ton sujet. Je pensais que je ne serais jamais rien à tes yeux, que nous étions trop différentes. C’était pourtant ça qui faisait ta différence : cette main toujours tendue, tant que l’on a le courage de la saisir. Tu ne m’as jamais remise en cause, tu ne m’as jamais rien caché et je t’en serais perpétuellement reconnaissante. Comme j’étais fière de marcher à tes côtés, même si tous les autres ne comprenaient pas. Tu étais mon jardin secret, celle avec qui je m’enfuyais à la fin des cours, à qui je disais tout.
Quand tu m’as révélé ton plus lourd secret, j’étais comblée. Comblée de savoir qu’il y avait quelqu’un comme toi dans le monde : fière, brave, libre d’aimer qui elle voulait, ayant plus d’amour pour le monde entier que tous ceux qui se réclamaient d’une religion d’amour, mais pourtant incapables de traiter comme égaux ceux qui ne leur ressemblaient pas.
Pour toi Amy, j’ai appris l’alphabet de ce nouveau monde coloré dans lequel tu m’entraînais. Ainsi, je pourrais parler le même langage, et tu ne serais jamais seule. Je te défendrais jusqu’à ce que tu n’aies plus besoin de mon aide, je te tiendrais la main comme tu as tenu la mienne.
Comme tu as tenu la mienne quand j’ai connu Peter.
III. Qui voudra connaître à plein la vanité de l'homme n'a qu'à considérer les causes et les effets de l'amour [Pascal, Pensées 413-162] ***
Peter, nous l’avons connu au lycée. Toi, tu n’étais plus là pour me protéger, tu avais changé d’école pour vivre ta vie comme bon te semblait, et j’étais très fière de toi pour cette décision difficile. Moi, j’étais toujours dans un institut catholique. Je m’y plaisais, tant que je réussissais. J’étais habituée à ce monde et je ne m’en plaignais pas, puisque j’y étais très protégée. Nous étions chacune taillée pour des mondes différents, ce qui ne nous avait jamais empêchées de marcher côté à côté.
Je ne sais pas pourquoi je ne t’ai pas parlé de lui tout de suite. J’avais honte, je crois. Je n’étais pas sensée fréquenter qui que ce soit. Je pensais que c’était assez futile, après tout ce n’était qu’un garçon avec qui je parlais de temps en temps.
Un garçon dont je ne voulais rien de plus.
Ce n’était pas son cas.
Je n’ai pas su le repousser tant que je le pouvais encore.
Je ne savais pas dire non à l’époque. Je n’étais pas comme toi.
Tu as fini par le savoir, quand tu as vu l’écran de mon téléphone s’allumer pour ne plus s’éteindre sous le flot continu de ses mots.
Tu as compris pourquoi j’étais si fatiguée, si éteinte ces derniers temps. Pourquoi nous nous voyions moins souvent, pourquoi mes résultats étaient en chute libre. C’est toi qui m’as dit d’en finir avec lui, que je n’avais même pas voulu ça, que l’amour n’avait pas ce visage.
Comme j’avais peine à te croire, moi à qui on avait toujours dit que le premier serait le dernier et qui voyait mon futur en lui, moi qui espérais qu’il exaucerait mon souhait le plus cher et qu’alors je pourrais me racheter de ces mois de mensonge, de mon incapacité à protéger ce que j’aurais dû garder pour plus tard.
Heureusement que toi et Babouchka étaient là pour me dire que la vie est longue et que l’erreur est humaine. Que rêver d’amour n’était pas pêcher et qu’aspirer à quelque chose de plus noble n’était pas un tort. Toutes les deux, vous m’avez tenu la main et m’avez tirée de sa toile et soigné toutes ses morsures, une à une. C’est toi qui m’as emmenée chez le médecin et qui m’est venue en aide quand j’ai dû prendre la décision la plus difficile de ma vie. C’est toi qui as gardé mon secret jusqu’à ce que je ne le puisse plus moi-même.
Mon père a fini par le savoir. Je ne l’avais encore jamais vu dans une rage aussi noire.
Sa fille, une impure, une avortée ?
Tu n’as pas aimé que j’accepte ces fiançailles avec le fils Luissier. Pour ma part, je voyais dans ce mariage le moyen d’expier ma faute et la fuite définitive de toute forme d’attachement. J’y voyais un raccourci vers cette vie de ma mère pour laquelle j’avais été élevée.
Ma famille m’avait bien fait comprendre que je n’avais pas mon mot à dire, de toute façon.
Pourtant, quand le destin s’interposa entre nous, je fus infiniment soulagée. Je n’en ai jamais voulu à Léandre, malgré les revendications de mon père. J’étais vaine, je voulais brûler les étapes, m’offrir des raccourcis, me sentir accomplie sans l’avoir mérité. Je sais toujours à quoi j’aspire, mais je ne sais pas encore ce que je veux. Je sais cependant que je ne veux pas ça non plus, la vie continue. Je suis jeune après tout. J’oublie souvent ça. Si jeune encore, trop jeune pour être mère. Pour la première fois de ma vie, je peux dire en pleine confiance ceci : je ne suis pas prête à être mère. Mais je le serais un jour.
III. « Qu'ils louent son nom avec des danses, Qu'ils le célèbrent avec le tambourin et la harpe! » [Psaume 149: 3]***
Alors que ma vie au lycée paraissait infernale, j’avais cependant une lumière qui guidait mon chemin. Ce n’était pas la foi à l’époque – je la questionnais encore- ni toi Amy, tu disais toi-même que je ne pouvais vivre pour toi. J’avais la danse.
Depuis toute petite j’ai trempé dans les arts, c’est ce que l’on attend d’une jeune femme de mon rang. J’ai toujours eu un intérêt particulier pour la musique, j’ai toujours aimé le solfège et à ce jour, je joue encore régulièrement du piano. Pandore insiste pour que je l’accompagne tu sais, elle me rappelle cette époque où je dansais. Où comme elle, mon corps vibrait. Mon corps étaient les cordes qui chantaient sous l’archet qu’était la chorégraphie, je me sentais voler. Babouchka était danseuse. C’est elle qui a insisté auprès de Père pour que je puisse danser. Elle savait que j’en avais besoin, que j’avais besoin de cet exutoire, pour ne pas brûler.
Comme elle avait raison.
Je me plaisais dans la rigueur de cette discipline – j’aimais avoir le contrôle, pour une fois, de mes mouvements. J’aimais plier mon corps à mes moindres désirs – et non pas à ceux d’autrui, ceux de Peter. La danse était ce cri que je ne pouvais exprimer autrement, la discipline était ma liberté.
J’aurais aimé en faire une carrière, tu sais. J’aurais aimé ça, je pense. Même si je ne suis pas sûre d’avoir un cœur assez fort pour supporter ce genre de vie. C’était ce que disait Père en tout cas, pour lui il en était hors de question.
Je sais qu’il voulait protéger sa petite fille. Protéger mon avenir. Mais il m’a presque semblé heureux après cette fracture à la cheville.
Mon ventre me pesait trop lourd, je crois. Ma tête, aussi.
Je n’allais plus jamais pouvoir monter sur des pointes. C’en était fini de mon rêve.
Le lycée touchait à sa fin, de toute façon.
« Tu n’aurais plus eu le temps, de toute façon. » disait-il. Il fallait que j’étudie, pour m’occuper, pour éduquer mes enfants plus tard.
Alors j’ai arrêté. J’ai laissé tomber mes rêves en même temps que Peter, j’ai laissé tomber les étoiles.
Mais je n’ai pas arrêté de vivre pour autant. D’autres flammes animent aujourd’hui mon cœur : l’histoire, la littérature, les arts.
Et puis je danse à nouveau, tu sais. Tu devrais venir avec moi un jour. Il est plaisant d’être dans les bras de quelqu’un parfois.
IV. Feu. [Citations extraites du « Mémorial » de Blaise Pascal]***
Babouchka est morte un soir de novembre. Le temps emporta avec lui une vieille amie, ma confidente, mon guide.
Sentiment de solitude atroce qui ne devait pas durer longtemps.
J’ai compris à ton départ le feu dont tu m’avais toujours parlé.
Je suis rentrée seule à la maison dans la nuit noire. J’ai pleuré beaucoup.
Je me suis arrêtée, j’ai fixé le plafond en pensant à toi. A tes mots. Joie, joie, joie. C’était tout ce que tu étais, de la joie. Un feu follet, une étincelle, même à l’aube de tes 90 ans. J’ai repensé à ta voix, à ton regard lumineux. A ton sourire.
Et j’ai pris feu.
Je suis devenue un feu de joie. Je suis devenue toi, en quelques sortes. J’ai senti les flammes dévorer mon corps, dévorer mes doutes. J’ai senti le brasier d’un amour inconditionnel brûler dans mon cœur. Je l’ai senti m’appeler, Lui, j’ai senti ce flot d’amour m’immoler. Et j’ai su que je n’avais jamais été seule.
« Oubli du monde et de tout hormis Dieu.» lirais-je chez Pascal quelques temps plus tard. Lui aussi l’a vécue, cette nuit de feu.
« Certitude, certitude, sentiment, joie, paix. »
Je n’avais jamais été seule ! Je le savais à présent. Le monde avait beau être bancal, je l’aimais, avec tout son mal et tout son bien. Il est un monde à notre image, un monde plein de rêves, de désillusions, un monde qui rit et qui pleure.
« Jésus-Christ.
Jésus-Christ.
je l’ai fui, renoncé, crucifié
Je m’en suis séparé,
Que je n’en sois jamais séparé ! »
Plus jamais. Que je baigne dans l’amour. Ce soir comme lui je naissais à nouveau. Je me sentais pousser des ailes, les cendres tombaient de ma peau nue. Je voyais à travers tes yeux. Amour. Paix.
« Renonciation totale et douce. »
Renoncer à la haine, à la guerre, à l’égoïsme. Je me veux porte ouverte et accueillante. Je vous invite dans ma maison, prenez en soin s’il vous plaît. Il est de mon devoir d’aider mon prochain. Je suis jeune et je veux mettre cette jeunesse à profit, je veux rendre le monde un peu meilleur. Je veux mettre au monde mes enfants dans un monde plus beau.
IV. « Le hasard a des intuitions qu'il ne faut pas prendre pour des coïncidences. » [Chris Marker]***
Je traverse aujourd’hui une paix nouvelle. Un regard aimant sur le monde. Ce même regard qui me permit d’accueillir dans ma vie sans me poser de questions l’existence de l’âme au-delà de la chair humaine.
J’ai vu un jour la Femme danser derrière sa vitre. J’ai vu dans ses yeux la flamme du génie et sur ses lèvres le sourire intime d’une amie. J’ai su très vite ce qu’elle était.
N’est-ce pas, Pandore ?
Il t’a suffi d’ouvrir la bouche. Il n’y avait rien de mathématique dans tes mots, dans ton désir. Tu brûles toi aussi, tu sais, tu marches sur des tisons quand tu danses. Tu parles avec fougue et tu séduis avec la cruauté d’une femme. Y a-t-il quelque chose de plus humain que ta curiosité ?
Tu n’étais pas la seule. Mais tous, vous vous pensiez seuls. Il est de mon devoir aujourd’hui de vous aider face à cette ségrégation nouvelle. Je sais que vous aussi appartenez au grand dessein qui est celui de Dieu- il ne peut en être autrement. J’œuvre dans le secret, pour le moment, bien que cela t’agace, Pan. Je ne suis pas encore prête je crois, à vivre au grand jour.
J’aime ce secret tu sais. J’aime ce contrôle que j’ai sur une petite partie de ma vie.
Laisse moi un peu de temps pour savoir ce que je veux faire.
J’aime être déguisée en une autre- ou bien est-ce le reste du temps que je suis déguisée en moi ?
Sentiment de liberté qui me rend ivre.
Je brûle si fort dans ta lumière. Il y a quelque chose de grand chez toi, de grand dans cette humanité artificielle. Nous ne sommes en rien différentes, toi et moi.