Le bus est plutôt calme. Plutôt. Il est encore tôt, mais l'heure de pointe est passée. Céleste est accoudé contre la vitre, alors que ses pensées défilent aussi vides et rapides que le paysage sous ses yeux. Sa musique vissée aux oreilles pour étouffer les pleurs discrets mais présents du gamin non loin, ainsi que la conversation stérile des deux étudiantes qui lui donne simplement envie de lever les yeux au ciel. Ou d'en prendre une et de la secouer un peu pour qu'elle arrête de débiter autant d’âneries à la seconde, en étant persuadée de refaire le monde. Son amie boit ses paroles, lui se morfond. Et augmente le volume proportionnellement au son que fait le petit. Au final, c'est avec soulagement qu'il sort, deux arrêts avant sa destination pour finir le trajet à pied. Et profiter de la matinée claire, du temps frai, du ciel bleu et de la vie tranquille du coin. Ça lui fait couper sa musique et enfoncer une main dans la poche de son élégant manteau de laine noire. L'autre pianote avec aisance sur le clavier de son portable, rompue depuis longtemps à l'exercice de faire plusieurs choses à la fois. Les quelques longues minutes qui le séparent du musée suffisent à lui redonner quelques couleurs, et il a juste le temps de finir de rédiger trois messages, un pour sa sœur, un pour son médecin, le troisième pour sa banque, avant de se déconnecter. Arrivé. Devant lui s'élève l'entrée du Musée des Beaux-Arts. Il n'admire pas l'architecture, prend simplement son billet d'entrée. Économie de mot, économie de temps. Sourire poli, salut, remerciement. Céleste s'en retourne vite, coup de vent entre les différentes salles, le pas assuré, ne s’arrête que rarement dans les différentes collections. Au final, un soupire lui échappe. Il ne sait pas encore ce qu'il est venu chercher en cette matinée. De la tranquillité, une ambiance particulière, des créations singulière, juste du beau. Le peu de gens qu'il croise l’agace déjà. Il préfère les éviter, s'enfuit vers le Pavillon pour la Paix, les collections d'art international. Des classiques venus d'ailleurs, d'autres cultures, des mouvements d'autres temps. Trop connus. Il aime, ces lignes qui lui rappellent les grands musées européens qu'il a visité, ces couleurs qui bercent son esprit, pétillantes d'une musique singulière, longues mélodies qui se dessinent face à ces œuvres qui viennent du vieux continent. Alors enfin il ralentit, prend le temps. Contemple, sourit presque. Parce que Kandisky, Matisse, Renoir ou Monet le saluent, parce qu'enfin les gens disparaissent de son esprit. Sa ballade commence, cheminement lent, doux, serein entre chaque rencontre. Ça permet d’apprécier le trait, d'admirer la vibration de la matière. Une lumière douce balaye les salles que Céleste traverse. Il se débarrasse de son manteau qu'il prend à son bras, réchauffé par l'atmosphère toute particulière du lieu. Ça lui libère l'esprit de tout ce qui l’embête en ce moment, tout ce qui pose problème dans sa vie. Il ne ressasse plus ses pensées, les laisse défiler avec recul. Sa grand-mère et sa maladie, un reportage de guerre pour sa sœur, sa voix qu'il doit toujours préserver, est-ce que tout ira bien ensuite... Rien, il ne peut rien y faire, il n'y a rien à faire. A part ressasser. Alors face à Rodin, face à ses Sirènes, Céleste se pose. Compose. D'autres idées, bien loin de sa mélancolie. Il détaille ces corps, ces mouvements, la tension et les courbes, les jeux de lumière sur la matière. Danse figée, mais tellement mouvante, sensuelle, délicate et porcelaine. C'est beau et doux. Contemplation d'un moment perdu, en suspension. Le reste n'a plus d'importance, il n'est que sens. Sorte de transe. Grave dans sa mémoire tout ce que ses yeux savourent. Et il reste posé là de temps de prendre son temps. Parce que ce matin il s'était levé sans savoir que faire de sa journée, qu'il avait eu envie d'évacuer, de profiter. Qu'il lui fallait faire quelque chose, mais rien non plus. Alors, installé sur le banc face à la sculpture, Céleste médite, absent, présent. Être tout simplement.
Pandore
Mails : 29
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Portrait robot : Avide, fragile et paradoxale, elle est un prototype d'artiste animée par un feu qu'elle ne s'explique pas.
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Lun 25 Fév - 11:22
Céleste & Pandore
"Son regard est pareil au regard des statues, Et, pour sa voix lointaine et calme et grave, elle a L'inflexion des voix chères qui se sont tues." – Paul Verlaine, « Mon rêve familier ».
Elle évoluait avec la grâce d’une statue. Postures figées dans le moindre de ses gestes, regards perçants et incertains. Elle recherchait les pièces manquantes dans le puzzle de sa personne, marchant au milieu de fantômes immobiles – d’êtres qui pourtant étaient sa chair. Il lui fallait faire semblant d’être de chair pour mettre le pied dans ce sanctuaire. Il fallait se faire passer pour une gamine humaine – changer la couleur de sa peau, se coiffer de façon anodine, éteindre ses lumières phosphorescentes. Créer la couverture parfaite en pleine lumière – dans un lieu où elle aurait sa place au rang des œuvres, sans la moindre hésitation. Elle pouvait passer des heures à arpenter, déambuler avec la gravité d’un moine sillonnant le cloître. Elle n’avait faim que d’images, de cette chair de marbre aussi froide que la sienne et qu’elle rêvait de toucher. Elle s’arrêtait et contemplait avec gravité le trait pourtant si naïf de Chagall – elle reconnaissait en ses toiles les couleurs qui l’avaient créée. Elle imaginait tout ce qu’elle pourrait danser, sur les musiques illustrées de Kandinsky, son regard se perdait entre le fracas des vagues de peinture à l’huile. Le fracas, la rupture, le vertige, le sublime. Voyageuse au-dessus d’une mer de nuage, prête à se jeter dans le vide – voilà ce qu’exprimait sa danse. Elle s’extasiait un instant sur les hallucinations érotiques de Moreau – lui aussi quelqu’un à qui elle avait emprunté un peu de chair imaginaire. Fantôme silencieux, on ne la remarquait pas. Beaucoup la regardaient un instant avec l’intérêt qu’on porte à une toile, avant de passer à autre chose. Il était rare qu’elle croise des figures familières en ces lieux. Encore plus rare qu’elle croise quelqu’un qu’elle avait connu avant de quitter la Boîte. Elle le reconnaissait pourtant. Le rossignol chanteur, avec ses longs cheveux blancs. Comment l’oublier ? Lui aussi venait se noyer dans ces miroirs.
Les souvenirs lui remontaient peu à peu alors que de loin, elle observait l’élégante silhouette de l’homme. Lui aussi ressemblait à une statue. Sa première scène, avant même d’en avoir conscience – elle avait dansé sur cette voix envoutante, voix qui s’était faite marionnettiste, qui avait joué de ses fils et qui l’avait faite danser comme un pantin. Bien malgré lui cependant – elle n’oubliait pas qu’il n’avait pas l’air ravi à l’époque, qu’il faisait partie de ceux qui prenaient les siens pour des objets. Cela promettait d’être intéressant. Elle se glissa à pas de loups en direction de l’homme, une lueur dans le regard. Sans un mot, avec la légèreté d’une plume, elle s’assoit à côté de lui, contemplant la sculpture. Les corps qui se contorsionnaient de ces femmes figées – c’était ça la danse. C’était ça le cœur de la chair, immortalisé à jamais dans le marbre. Elles n’étaient pas immobiles dans ses yeux, et c’était en elles que l’androïde puisait sa théorie du mouvement. Elle ne dit rien, d’abord, absorbée elle aussi. Visage ingénu et incrédule face à la grandeur de l’œuvre d’art, si parfaite quand elle n’est pas consciente. Pandore était loin de cet état maintenant. Elle finit par murmurer, sans même regarder son voisin : « Que font-elles ? Est-ce qu’elles chantent ? Est-ce qu’elles dansent ? Est-ce qu’elles crient ? » Un peu tout à la fois, peut-être. Le cri muet des statues restait depuis toujours une controverse pour les historiens de l’art. Une chose était certaine : elle était envoutée par le chant de ces Sirènes.
Sa pensée s’étire, à l'image du temps. Il ne sait combien de minutes se sont écoulées, combien d'étoiles sont nées. Mais dans le silence feutré de la salle, une voix s'élève à ses côtés. Douce, discrète. Ça le sort de son esprit, petite mélodie, pas assez intrusive pour l’agacer. Seulement le réveiller. Il cligne des yeux, reprend pied. Garde ses prunelles rivées sur la sculpture, Sirènes figées d'un blanc épuré qui garde son entière attention. Et, les mains jointes sur les genoux, les paroles viennent jusqu'à lui. Il les prend, calmement, prend le temps de les comprendre. Puis de réfléchir. S'il doit ou non se donner la peine d'y répondre, ou juste partir. Quitter la salle en silence, la laisser seule avec son absence. Mais il est trop poli, pas assez dérangé par sa présence. Peut-être cherchait-il un peu de ça en venant, quelques questions sans réponses, autres que les siennes. Il se demande s'il peut utiliser un peu sa voix aujourd'hui. Ces derniers jours ont été calmes, ses cordes ne le font pas souffrir. Sans accorder un regard à l'inconnue à ses côtés, Céleste fronce les sourcils puis son visage se détend, imperceptiblement, et il répond à voix basse.
- Elles sont elles, présentement, dans leur entièreté. Ce qu'elles n'ont jamais été et ne pourront jamais être d'autre... Je les vois danser, mais c'est une danse intime, privée... Qu'on a voulu exposer à nos yeux.
Il y a un temps, silence presque religieux. Il n'est pas du genre à étaler ses pensées ainsi. Mais en ce lieu, en cet instant, peut-être qu'il a été surpris entre deux rêveries, deux réflexions qui ont pris vie. Alors il se permet quelques mots lancés dans le vide, à peine posés dans l'air avide qui déjà les fait disparaître. Et seul leur écho réside.
- Mais ce qu'elles font les regardes. Nous projetons ce que nous voulons, ce ne sera jamais qu'une petite parcelle de leur Tout, de leur Vérité. Rodin le savait-il seulement ?
Ses mains se délient, il redresse son dos, relève sa tête. Ses épaules se dénouent doucement, il ferme les yeux une seconde. Se reconnecte au monde. Avant de tourner enfin son visage vers sa voisine, discrètement présente. Sous son regard clair se dessine un profil étrange, connu et inconnu et humain mais pas que et incertain. Il la détaille, peut-être trop, parcourt l'ovale de son visage, ses traits presque figés, teint de porcelaine et jeunesse affichée, parfaite. Céleste fronce à nouveau les sourcils, interrogeant sa mémoire face à cet être qui ne lui rappelle rien mais lui dit beaucoup. Il y a des détails qui le perturbent, il hésite.
- Ne nous sommes nous pas déjà rencontrés ?
Au risque de froisser cette jeune femme, mais quelque chose le trouble. Il ne saurait dire, encore moins mettre le doigt dessus. Une sensation de déjà vue. Un autre lieu, un autre temps. Un an déjà ? Peut-être moins, peut-être plus. Il ne sait plus et ce visage le nargue presque, alors que ses souvenirs le fuient, trop flous. Il y a des sons qui reviennent, des mélodies qu'il ne sait harmoniser avec la silhouette à ses côtés. Cela ne colle pas, ne correspond pas, deux pièces aux bords trop différents pour se compléter. Il la connaît, ne la reconnaît pas. Ça l’agacerait presque, car il est persuadé que sa voisine n'a rien d'humain, que l'enveloppe sacrée de perfection a autant de vie que le marbre blanc face à eux. Déconcentré. Dans sa poche vibre son portable. Une fois. Message, réponse de sa sœur sûrement. Qui lui fait perdre le fil de ses pensées, qui le raccroche à cette réalité. Il secoue la tête, un peu, ça fait danser ses longs cheveux. Il lui manque un contexte, une affirmation. Un tout petit rien pour comprendre ou non ce qui le dérange dans cette rencontre.
Pandore
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Sam 2 Mar - 23:57
Céleste & Pandore
"Son regard est pareil au regard des statues, Et, pour sa voix lointaine et calme et grave, elle a L'inflexion des voix chères qui se sont tues." – Paul Verlaine, « Mon rêve familier ».
Bonne élève, elle s’était délectée de ses paroles, avide de ses mots, gravant la moindre lettre dans sa mémoire de cristal. Ses yeux ne quittaient pas les courbes torturées et féminines de ces femmes passées à tabac par le burin de l’artiste, figées à jamais dans leur armure de fonte. La vérité était à jamais figée avec elle. Elle battit des cils, cherchant à capturer à jamais leur agonie dans ses yeux-objectifs. La danse était une lente agonie – torsions se succédaient avec rupture. Cet instant figé par le marbre inspirait le dynamisme de ses propres mouvements. - Mais ce qu'elles font les regardes. Nous projetons ce que nous voulons, ce ne sera jamais qu'une petite parcelle de leur Tout, de leur Vérité. Rodin le savait-il seulement ? Ces mots eurent une résonnance étrange dans les oreilles de l’Andréïde. C’est vrai ça, le savait-il seulement ? Que savait Zeuxis quand il l’avait créée ? Elle se figea un instant, cette question crissant dans ses oreilles. Elle y reviendrait plus tard. Cela lui semblait important. Zeuxis c’était toujours pensé démiurge – mais elle avait toujours été bien plus proche de la divinité que lui. Que pensait ce Prométhée moderne en tentant d’amener la perfection dans le monde ? Sa pensée fut interrompue par la voix mélodieuse de l’homme. C’était à son tour de poser les questions. -Ne nous sommes-nous pas déjà rencontrés ? Elle tourna la tête vers lui- surprise qu’il ait percuté aussi vite. Elle détailla son visage un instant, cils tremblants, s’agitant comme des papillons nerveux – battements d’ailes prêts à déclencher une tornade. Et puis elle lui sourit, un léger rire se glissant entre ses dents blanches. -Peut-être, dans une autre vie. Est-ce vraiment important ? C’était une autre vie pour elle, après tout. Il était un fantôme de son passé, un lointain écho dont le chant lui remontait à peine. Ça n’avait plus grande importance maintenant. A l’époque elle était un objet à l’image de ces statues ; aujourd’hui elle était convaincue d’être une personne. Son sourire complice cependant traduisait bien qu’elle aussi, se souvenait de ces soirs passés sur les planches. -Dans un lieu pareil, nous sommes tous égaux face à l'inexplicable. Ajoute-t-elle dans un soupir, regard plein de rêves glissant à nouveau le long des ombres féminines. -Je me sens chez moi ici, en quelques sortes. Au milieu de ces statues qui étaient encore ses semblables. Une moue confuse s’était inscrite sur ses traits, venant troubler leur précision mathématique. De quel côté de cette mince ligne séparant l’œuvre d’art de la vie se trouvait-elle maintenant ? -Il y a quelque chose de prométhéen dans les statues. Elles sont toujours prêtes à respirer, il me semble. Comme figées à l’instant même où elles allaient prendre vie et condamnées à un perpétuel état intermédiaire. Je pourrais les regarder pendant des heures et leur trouver un visage différent à chaque coup d’œil. Je me demande ce que les artistes essaient d’accomplir quand ils taillent la pierre. Et ce qu’ils essaient d’accomplir quand ils taillent la vie artificielle. Beaucoup d’éléments échappaient encore à son raisonnement – mais ces questions étaient des questions sans réponse, sur lesquelles philosophes et historiens de l’art tergiversaient depuis toujours. Elle repensait souvent au cri du Laocoon – il lui semblait parfois qu’elle pouvait l’entendre. Elle aimerait lui rendre visite un jour, à Rome.
Il y a un sourire d'abord, un rire. Léger. Rien n'est vraiment dit, rien n'est clairement exprimé. Une réponse qui n'en est pas une, un peut-être qui veut dire beaucoup. Ou rien du tout. Qui laisse surtout Céleste sur sa faim, indécis. Est-ce vraiment important ? Pour celui qui détient les réponses, peut-être pas. Pour celui qui pose les questions par contre... Il s'en détourne, détache son regard d'elle pour retourner son attention sur la sculpture, bien que ses pensées ne suivent pas. Sourcils froncés, il reste pensif, ne dit rien. La laisse continuer. Le sourire qu'elle lui avait servi voulait tout dire et rien dire, tout comme ses mots. Elle se joue de lui, il en a bien peur. Les paroles qui suivent ne l'aide en rien. Tous égaux, vraiment ? Ce serait oublier un instant beaucoup de principes, d'éléments importants. Tous égaux, jamais totalement. Son soupir trouve écho dans le sien. Il reste silencieux, ses pensées se bousculant, laisse ses yeux revenir à la demoiselle, dont l'expression confuse le fait douter un instant. Il ne sait vraiment, à ce moment, qui ou quoi se trouve à ses côtés. Et il n'apprécie guère de ne pas savoir, alors que sous ses yeux se découpe un ovale bien trop lisse, un visage bien trop plein de perfection. Pas si figé que ça, cela dit. Un peu trop humain peut-être. Céleste n'en sait rien, doute beaucoup. Est-ce important ? La question lui revient, il se dit que oui. Mais fait comme si non, cela ne l'est pas. Il aura ses réponses en temps et en heure, préfère retourner son attention sur les paroles qui s'élèvent, questionnement classique de l'observateur face à l'artiste. Réflexions éparses d'un esprit face à plus grand que lui. Lui aussi se les fait, compose avec. Se pince les lèvres, ne sachant pas si son avis est demandé, s'il veut le donner. Si ce ne sont que des pensées posées à voix haute, qui demandent les siennes pour dialoguer. Ou si son silence est tout ce qu'il veut donner, ni méprisant ni confortable. Silence. Distance. Il pense. Daigne partager quelques brides de sa pensée.
- Exercice technique. Retranscrire ce qu'ils voient, ce qu'ils sentent, ce qu'ils ressentent. Mettre leur ego dans leur art, se prendre pour le Créateur et faire de la matière un réceptacle à leur talent, à leurs fantasmes.
L'idée est sombre, n'est pas optimiste. Céleste ne sait comment se positionner face à cela. Ou plutôt, il ne cherche pas à se positionner au travers de ces mots. Ce ne sont que des brides de réflexions, quelques fils tirés, pour voir ce qu'on peut en tisser, comment elle peut se servir de ces idées bancales pour faire évoluer ses propres pensées. Et lui, est-il un outil, une voix pour l’œuvre d'un artiste. Cherche-t-on à parler à travers lui, son talent est-il destiné à servir d'autres que lui. Ou est-il aussi un Créateur, un homme qui propose un Art, une Œuvre ? Où sa prétention se place-t-elle, c'est là toute la question.
- Il y a une notion de création presque religieuse, divine. Ou alors maternelle. Mais un rapport à la vie je pense. Et à la mort, la volonté d'exister après sa disparition, de laisser une emprunte, de figer dans le temps un instant de soi, de son histoire, un morceau de son ego.
Là encore, il dit 'je pense' mais ce n'est vrai que sur le moment. Les idées sont éparses, il y croit le temps de les présenter, les dépassent ensuite en pensée. Trouve leurs limites, se contredit seul. Laisse sa voisine se faire son propre avis sur ces mots, être d'accord ou non, les refuser, les trouver idiots. Céleste en a déjà fait le tour, mais refait ce tour à chaque fois qu'il recommence à réfléchir sur le sujet. Pour à chaque fois nuancer un peu plus, dépasser encore. Évoluer, toujours. Base de la philosophie, seraient-ils tous deux en train de disserter sur autant de vanité, perdus dans un musée ? Alors que la seule réponse qu'il souhaite avoir est sur son identité. Est-elle suffisamment banale pour qu'il l'ait laissé de côté, qu'il n'ait pas pris la peine de garder dans sa mémoire son souvenir ? Mais autant le sujet permet de ne pas parler vraiment de lui-même, autant il a l'impression qu'elle se dévoile un peu à travers la conversation, bien qu'il soit incapable de saisir la profondeur des enjeux.
Pandore
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Jeu 21 Mar - 9:04
Céleste & Pandore
"Son regard est pareil au regard des statues, Et, pour sa voix lointaine et calme et grave, elle a L'inflexion des voix chères qui se sont tues." – Paul Verlaine, « Mon rêve familier ».
Il semblait que chaque homme avait de l’art une vision différente. Inspiration divine ou pur dessein narcissique, Pandore peinait souvent à comprendre ce qui avait un jour animé Zeuxis – et ce qui l’animait, elle, aujourd’hui encore. Se noyer dans l’art était pour elle un retour à une matrice première, un moyen de comprendre ses origines et sa destinée. Alors, elle arpentait les musées, elle lisait les livres qu’Anna lui prêtait. Elle cherchait des réponses, mais chaque élément qu’on lui jetait en pâture devenait la source d’une faim toujours plus grande.
- Exercice technique. Retranscrire ce qu'ils voient, ce qu'ils sentent, ce qu'ils ressentent. Mettre leur ego dans leur art, se prendre pour le Créateur et faire de la matière un réceptacle à leur talent, à leurs fantasmes. L’homme à la voix incisive et claire semblait pencher pour le dessein narcissique, la recherche de soi et l’incarnation du rêve dans l’œuvre – sensée rester immobile. Fantasme ambulant, bien sûr que c’est ce qu’elle était. Ce qu’elle avait été, du moins. Pourquoi ce besoin de retranscrire ? Pourquoi ne peut-on pas se contenter de voir ? Elle peinait à comprendre ce besoin de transmettre, de laisser une trace. Cela était-il vraiment son seul objectif ?
- Il y a une notion de création presque religieuse, divine. Ou alors maternelle. Mais un rapport à la vie je pense. Et à la mort, la volonté d'exister après sa disparition, de laisser une emprunte, de figer dans le temps un instant de soi, de son histoire, un morceau de son ego. « Frankenstein », ne peut-elle s’empêcher de souffler. « Pygmalion et Galatée ». Autant d’exemples de la vie incarnée dans l’œuvre, dans le besoin mortifère d’insuffler la vie en ce qui devait toujours rester mort. Ses yeux glissaient le long des hanches de fonte – contemplant avec effroi la parade des jamais-nées. Ses yeux s’accrochèrent ensuite au tracé finement ciselé de ses propres mains, de ses jambes toujours prêtes à se rompre. Elle était une danse macabre.
- Il y a beaucoup de douleur aussi, je pense. Elle était hésitante, réfléchissant à toute vitesse, se remémorant ses lectures. Elle était une inépuisable base de données sur l’histoire des arts- mais elle avait à peine eu le temps d’effleurer la surface de ce savoir, de se l’approprier, de le soupeser, de le penser.
- La douleur, plus que tout donne à ressentir la vie. La souffrance sublimée peut se transmettre à tous. Si le dessein de l’artiste est égoïste, je pense que l’art dépend d’une empathie propre à l’humanité entière.
L’empathie. Ce sentiment nouveau qui avait fait toute la différence. La douleur aussi, qu’elle ignorait quand son esprit était encore dans les Limbes. La cicatrice le long de sa cuisse la picotait. Dans ces corps taillés à la hache, elle voyait la douleur et la volupté de vivre – toute la grandeur que les mains d’un artiste avaient su créer.
- J’ai lu Nietzsche, récemment. Je pense qu’il a des idées pertinentes au sujet de l’art. Elle se râcle la gorge, recomposant la phrase dans son esprit. - «L’art, rédemption de celui qui agit, de celui qui non seulement voit, mais vit, veut vivre, le caractère terrible et problématique de l’existence, de l’homme tragique, du guerrier, du héros. L’art, rédemption de celui qui souffre, - voie d’accès à des états où la souffrance est une forme de la grande volupté ». C’est ce qu’il dit. Y a-t-il seulement quelque chose de plus universel que la souffrance ?
Elle reste silencieuse un instant, plongée à nouveau dans la réflexion que ces mots avaient déclenchée en elle la première fois qu’elle les avait lus. Elle n’avait pas une vision particulièrement optimiste de l’art non plus- bien qu’elle crût plus que tout en sa grandeur et en la façon dont il unit tous les hommes. C’était par cette douleur et cette volupté qu’il donne à ressentir à tous les hommes, la douleur est ce qu’il y a de plus universel.
- Vous qui chantez, pourquoi le faites-vous ? Vous pensez vous artiste ?
Elle trahissait ainsi le fait qu’elle le connaissait. Peu importe, sa curiosité était lancée au grand galop, et l’homme avait des choses à dire. Il n’y avait plus de retour en arrière maintenant. Être artiste, c’était posséder un savoir-faire selon le latin ars, mais l’évolution du mot en avait fait quelque chose de beaucoup plus grand. Ses iris aux reflets irréels observaient maintenant la pâle silhouette de l’homme-rossignol qui lui-même ressemblait étrangement à une statue, dans sa posture pensive. Elle trahissait l’insatiable gouffre qu’était sa faim intellectuelle, la fascination qu’elle nourrissait à l’égard de ses hommes capables d’enchanter le réel et de lui donner forme.
Un souffle, murmure. D'un nom d'une créature. Céleste la fixe, sans plus de question, sans plus de considération. Au diable les politesses et l'éducation, son regard n'est plus que posé sur la demoiselle à ses côtés. Celle dont il n'a pas l'identité, mais qui l'intrigue un peu trop avec ses quelques mots, et son attitude. Alors ses yeux clairs sont posés sur elle, elle a son entière attention. Il attend la suite de ses pensées, qu'elle ne se prive pas d'exposer. Avec hésitation. Timidité ? Incertitude ? Ou alors son esprit vif cherche en même temps qu'elle propose. Douleur. Intéressant. Il y pense régulièrement, à la douleur dans l'acte de création, dans l'Art. Il la laisse continuer, perdu dans ses propres pensées. Il réfléchi en même temps qu'elle poursuit. Approuve d'un léger hochement le terme d'empathie qui ressort. Penché en avant, les mains jointes et le visage tourné, il laisse son regard dériver sur le profil pensif de la jeune femme. A chaque idée posée, elle semble avancer seule dans ses réflexions, toujours un peu plus loin. Et lui reste posé là, devant elle, à chercher encore la raison de cette rencontre, le souvenir d'elle. Nietzsche. Raclement de gorge. Citation. Fermer les guillemets, question. Le silence s'installe entre eux, légère pause dans la conversation. Il se pince la lèvre, incertain de devoir exprimer son point de vue à cet instant, ou si sa réponse n'était pas attendue. En la voyant se refermer en elle, Céleste lui laisse un peu de répit et s'éloigne un instant, juste le temps de parcourir la salle des yeux, sans vraiment la voir.
-Vous qui chantez, pourquoi le faites-vous ? Vous pensez vous artiste ?
La question le fige. Aussi immobile que la sculpture face à lui, son esprit s'échauffe. Un peu. Elle se permet d'avouer qu'elle le connaît. Mieux, elle sait. Qu'il chante. Et pose entre eux la question qui restait jusqu'alors silencieuse dans son esprit. A quel point se moque-t-elle de lui ? Ou est ce seulement un bel hasard. Il n'y croit pas. Ferme les yeux le temps d'un soupir, pose son menton sur ses mains, et ainsi penché, il réfléchit. Un peu. Laisse le silence s'étirer autour d'eux, les envelopper. Le temps de se demander par où commence et s'il lui doit quoi que ce soit. Mais s'il veut des réponses, il doit jouer le jeu. Celui-ci n'est heureusement pas trop dangereux. Au contraire, il n'est pas pour lui déplaire.
-Si la douleur est universelle, elle n'est pas la seule. La souffrance est et sera ressentie par tous. Parce qu'on doit tous disparaître, et que perdre quelqu'un est inévitable... Un temps, de quoi reprendre son souffle. Mais, j'aime penser qu'il y a l'Amour aussi. Que si l'un peut être ressenti par tout et chacun, l'autre l'est tout autant.On peut avoir le besoin de créer dans la douleur, c'est dans cette émotion pure que l'esprit libère ses mots et ses maux. Et des choses toutes aussi belles sont crées par Amour, sans souffrance aucune, mais simplement dans une belle plénitude.
Nouvelle pause dans son discours. Malgré les vérités bien générales qu'il présente ici, il doit bien avouer se livrer un peu. Encore une fois, il se redresse et s'installe mieux, croise une de ses jambes sur l'autre. Il ne sait maintenant s'il doit répondre honnêtement à la question, celle qui ne concerne que lui malgré la curiosité à peine contenue de la demoiselle. Sourire en coin, parce qu'il profite de ce tout petit pouvoir qu'elle lui a donné là, celui de pouvoir ou non répondre à son interrogation.
-Je chante pour exister.
Quatre mots pour décrire son univers, sa vie. Pas de futur, d'éternité, juste de présent ancré. Exister là maintenant, pour lui et pour les autres. Ne pas être silencieux dans un coin à ne pouvoir rien exprimer ni être écouté. Quand à savoir s'il se sent artiste, c'est la question à laquelle il ne sait répondre. Ça lui rappelle trop le jeu des interview, mais avec d'autres enjeux. Plus personnels. Plus intimes.
-...Et je ne sais pas. Oui, je crois. Je me sens être un artiste, avec ma voix pour outil, pour lien entre mes sentiments et ce que je veux exprimer, et celui ou celle qui l'entend, qui les prend avec lui... Il faudrait se mettre d'accord sur une définition pour que je puisse me positionner.
Il n'a rien de plus à ajouter, qui la regarde elle en tout cas. Alors il s’arrête là, laisse le sujet en suspend. Pour en revenir à celui qui l’intéresse vraiment au travers de toute cette discussion. Elle. Elle qu'il n'arrive pas à définir, dont il ne peut se souvenir. Qu'il ne peut trouver que familière.
-Et toi, au travers de quoi t'exprime tu ?
Il tente, un peu, d'en apprendre plus, de mieux la cerner. Parce qu'elle l'intrigue et le titille, et qu'il n'aime pas ne pas savoir.
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