Pluie fine qui s'abat, intransigeante. Pas assez lourde pour faire courir ceux qu'elle trempe, mais elle tombe incessante et finit par faire son affaire. Sur le trottoir humide, Céleste se presse. Il a abandonné l'idée de passer entre les gouttes depuis bien longtemps, espère simplement ne pas attraper un sale rhume ou toute autre maladie du même genre. Sans parapluie pour se protéger, il a rabattu le col de son manteau de chaque coté de son visage et a resserré l'épais foulard de soie bleue qui habille sa gorge. Hors de question de retomber mal alors que sa voix va mieux et qu'il peut enfin envisager la reprise du chant d'ici quelques semaine. Manquerait plus que ça.
Regard au ciel qui reste gris, morne, sans aucune éclaircie cet après-midi. Avant de baisser à nouveau la tête et de s'engouffrer dans la rue sur sa gauche. Sous ses pieds les flaques commencent à se former lentement et ça le fait grincer des dents. Quelle idée, il aurait pu prendre les transports en commun, ou un taxi. Mais ça fait quelques économies de marcher, quelle bonne idée. Il soupire, en soi ce n'est pas si pire. Il fait assez bon et il n'est pas loin de sa destination. A l'abri dans la pochette qu'il tient contre lui, les trois livres qu'il doit rendre à la bibliothèque pour pouvoir en emprunter d'autres. Il s'occupe, dévore et fréquente maintenant presque assidûment l'endroit. Sa propre bibliothèque étant depuis longtemps connue par cœur, il lui fallait ouvrir ses horizons. Ces derniers mois, il a dû y passer presque une fois toutes les deux semaines, au moins. Ça lui donne une triste idée de sa vie ces temps-ci. Soupire à nouveau, il traverse  pour rejoindre le bâtiment en face.
Arrivé, enfin. Une femme se précipite aussi sous l'abri et Céleste lui tient galamment la porte avant de la suivre. A cette heure, le lieu est plutôt fréquenté. Fin de journée, avant le début de la soirée, après les cours ou une journée de travail. Céleste n'y a pas vraiment pensé, lui qui aurait pu y passer n'importe quand dans la journée pour être au calme, le voilà à faire la queue derrière deux personnes pour rendre ses emprunts. Tsss. Un regard à sa montre le fatigue, de toute façon il n'a aucun impératif alors pourquoi se presser. Il prend le temps de détailler l'environnement, on lui a parlé d'un incendie mais les dégâts ne sont plus visibles. Il a beau chercher un peu, rien ne lui saute aux yeux. Tant pis pour sa curiosité. Son regard clair descend jusqu'à l'homme juste avant lui, dont le manteau à la coupe mal ajustée le fait grimacer. Il détourne ses pensées, rabat le col de son long manteau de laine noir et sort ses trois livres pour regarder rapidement si l'un d'eux a subi la pluie. Ni L'Ombre du Vent, ni Dorian Grey, ni la Correspondance Passionnée d'Anaïs Nin et Henry Miller n'ont l'air d'avoir souffert et Céleste les tient consciencieusement dans ses mains. Le premier avait été conseillé par un ami, le second est un classique qu'il venait enfin de lire, le troisième était un souvenir d'une amie en France qui le lui avait vivement recommandé. Et il n'a pas été déçu de cette découverte, ni d'aucuns de ces livres. Devant lui, la première personne s'écarte enfin du comptoir et c'est l'homme au manteau qui s'avance et rapidement laisse ses bouquins pour disparaître. Parfait, à son tour.

-Bonjour.

Calmement, Céleste dépose ses trois livres face à celui qui s'en occupe, jeune homme dont il ne prête pas plus attention que ça, la machine parfaitement programmée le laissant de marbre. Un regard en arrière lui apprend qu'il n'y a personne qui attend, alors il s'appuie sur le comptoir en fronçant les sourcils. Il a besoin de conseils pour ses lectures et face à lui se trouve l'être qui doit pouvoir répondre.

-Excusez-moi, mais j'aurais besoin de quelques renseignements. Je serais à la recherche d'un roman épistolaire un minimum intéressant...

Bien qu'il n'ait aucune confiance dans les 'goûts' d'un androïde, celui-ci devrait avoir une base de données qui pourrait répondre à sa question. Il faut dire que la découverte des Correspondance lui a beaucoup plus et que ce format l'intrigue. Et puis la romance et la passion abordées dans ce livre sont d'une force et d'une beauté, il souhaiterait y replonger, ou trouver quelque chose d'approchant. Suivant ce qu'on lui répond, il lancera une nouvelle recherche. Il a bien deux trois idées de ce qu'il veut lire, sans savoir exactement ce qu'il cherche. Il aime alterner, entre piocher dans sa liste personnelle de titres à découvrir et des faire de belles rencontres au hasard d'un soir. Aujourd'hui il laisse à l'être en face de lui la délicate tache d'orienter ses lectures de la semaine.

La technologie est efficace, il ne peut contester ça alors que l'androïde lui donne deux titres. Pensif, Céleste réfléchit et cherche si l'un d'eux lui dit quelque chose. Il semble que non, il ne les a pas lu, alors il hoche la tête silencieusement et remet une mèche blonde derrière son oreille. Seul le nom des auteurs résonne en lui, peut-être pas assez moderne. Il lui faut feuilleter tout ça, il ne saurait se décider là. La voix de l'androïde le sort de ses réflexions et il croise son regard pour la première fois. Lève un sourcil face à la proposition. Lui montrer ? Pourquoi pas, ce sera toujours plus rapide que de chercher et cela lui permet de garder l'être près de lui pour répondre à ses questions si besoin.

- Je veux bien s'il vous plaît.

Politesse neutre, il ne sait se comporter plus chaleureusement avec une machine. N'en voit pas l'utilité surtout. Il le regarde sortir de l'arrière du comptoir pour se diriger vers les rayons et Céleste le suit, sa main gauche au fond de la poche. Il le détaille un peu, sans vraiment en prendre conscience. Intrigué aussi par la silhouette mécanique qui s'oublie sous les apparences, il est toujours assez mal à l'aise face à un être technologique. Ne leur fait face que si besoin, sinon il évite. Un peu trop impeccables, un peu trop parfaits, sans erreur, sans humanité. Ça le fait soupirer. Dans quel monde vit-on, il n'en a pas la réponse.
Ils ne leur faut que quelques longues secondes pour traverser la bibliothèque et arriver à l'endroit désiré sans dire un mot. Calmement, l'humain parcourt les étagères des yeux, laisse son regard accrocher quelques tranches de livres, puis se rapproche, son index effleurant les titres jusqu'à l'un des noms évoqués un peu plus tôt. Il s'en saisit, le retourne pour en lire le résumé rapidement. Et malgré tout, le nom, l'éloge, le grand classique qu'est ce livre, une légère grimace déforme ses lèvres. Un peu déçu, ce n'est pas ce qu'il cherche. Alors il se retourne vers l'androïde présent à ses côtés, pour redemander conseil.

- Je crois que je préfère quelque chose de plus moderne, ou surtout qui ne soit pas fictif. La retranscription d'un véritable échange.

Pensif, il regarde à nouveau le recueil qu'il tient, avant de le reposer à sa place avec soin. Il n'en dit pas plus, ne ressent pas le besoin de s'étendre face à un androïde qui ne comprendra pas de toute façon. Alors pourquoi s’embêter à vouloir expliquer qu'on cherche une relation authentique, des mots passionnés, de la profondeur et de l'humanité au fil des pages. Voir se révéler le portrait de deux auteurs. De quoi retrouver, mettre en parallèle avec ce qu'il vit un peu en ce moment, s'en forcément faire un lien. Juste avoir le plaisir de rencontrer et découvrir deux êtres au fil de leurs discussions, comme il a l'impression de le faire aussi par mail avec Léandre. Peut-être que l'envie de retrouver un livre de ce format vient de là. Sûrement. En attendant, il laisse tout cela ne coté, n'aborde pas sa vie privée avec une machine à la tache mécanique, dont les pensées binaires doivent se résumer à rendre service et obéir à ses programmes... Poésie de la vie qui disparaît petit à petit. Non, toutes ses avancées ne sont vraiment pas pour lui. Il préfère le passé et les défauts de l'humanité.