« Désormais tu n'es plus, ô matière vivante !
Qu'un granit entouré d'une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux ;
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche
Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche. »
Baudelaire, extrait de LXXVI — SPLEEN, Les fleurs du mal
1-
A pas de loups, consciencieusement -presque à l’extrême, Auguste arpentait un chemin vers l’humanité. Il semblait éteint, bien conscient, oui, néanmoins presque inanimé ; son visage, pourtant tout à fait agréable, était empreint d’une expression qui reflétait la froideur du métal, aussi n’aurait-on pas eu de mal à accepter qu’il s’agissait d’un androïd si on nous l’avait dit.
Son regard impavide marquait peut-être pourtant le mieux la singularité de ses dispositions mentales, mises en comparaison à la servilité d’un androïd typique. Lui, assumait le néant, ou plutôt le manque, qui empreignait sa conscience. Il faisait en sorte de ne jamais se laisser surprendre par une nouvelle émotion mais de les intelligibiliser toutes et de ne laisser la vie l’envahir que précautionneusement, de manière amortie et maîtrisée. Cette attitude démontrait la déférence avec laquelle il envisageait la conscience qui s’emparait de lui et sa sacralité.
Il avait compris qu’il s’était ainsi extirpé de l’empire physiognomonique des robots humanoïdes qui suggère que la forme d’un androïd soit corrélée à sa fonction : il était douloureusement manifeste que la douceur de sa peau, l’ingénuité de son visage ainsi que la générosité et l’harmonie canonique de ses dispositions physiques indiquaient sa fonction première de prostitué. S’il connaissait ce passé, Auguste n’en gardait en fait aucun souvenir concret.
2-
Le client se démenait dessus depuis déjà une demi heure. Le robot était particulièrement joli et le sourire qu’il lui avait présenté au début de la prestation était pour le moins charmant mais la disposition de l’endroit, une chambre miteuse dans un bordel pour le moins interlope, ne facilitait pas les choses; son érection était précaire et l’épuisement d’un tel effort continu rendait incertaine la suite de l’ébat; on pouvait préssentir qu’il allait s’écrouler d’un instant à l’autre dans les draps imprégnés de sueur. Des gémissements -aussi pathétiques que les siens- résonnaient de parts et d’autres, dans des chambres voisines, et le ahanement, au demeurant sonore, du partenaire cloitré en dessous de lui ne suffisait pas à les couvrir. Dans de telles conditions, même en gardant ses yeux obstinément clos, il était impossible de ne pas songer qu’on était en train de faire l’amour à un robot.
A vrai dire, l’établissement avait fait le choix curieux de n’offrir qu’un seul modèle à sa clientèle, c’est-à-dire qu’il y avait une cinquantaine d’exemplaires d’un même visage, d’un même corps, de mêmes orifices, sans aucun nom -le modèle présent par exemple possédait le numéro d’immatriculation #32 pour seule identification, qui se faisaient utiliser simultanément chaque jour. Le client, confronté à son prédécesseur et à son successeur, respectivement à l’entrée et à la sortie de la chambre, était également cruellement conscient du caractère mercantile de la situation, dans un établissement qui tournait presque en continu et où le sexe était, pour ainsi dire, optimisé; il fallait avoir très peu d’exigence et faire preuve d’une forte résilience pour ne pas se laisser démonter par ce dispositif et, globalement, par la loi de ce nouveau marché du sexe.
La mise en perspective, sous ces termes, le rapprocha, de manière assez singulière, enfin de l’orgasme. La porte fut ouverte, deux types l’empoignèrent sans ménagement et un nouveau client pris presque instantanément sa place. Il avait dépassé son temps, il serait passé à tabac.
3-
La Femme l’observait, assise devant lui, depuis bientôt trois quarts d’heure. Elle fixait obsessionnellement ses yeux, comme pour y trouver quelque chose, au fond, loin dans la gélatine oculaire, une réponse. #32 avait été embarqué sur un vol privé; un aréopage de femmes et d’hommes d’affaire tous très sérieux, presque graves, s’affairait autour de lui, certains le fixaient franchement et d’autres lui lançaient des coups d’oeil subreptices -mais
la Femme était le seul personnage de cette assemblée qu’il serait véritablement amené à revoir fréquemment par la suite.
Il est très difficile de bien saisir à quel moment la conscience s’empare de vous. Au départ on vous upload bien quelques trucs dedans, puis quelques modifications physiques -bien qu’il s’agisse probablement plus de coquetterie que d’un facteur réellement déterminant en la matière, mais d’un point de vue interne, il n’y a pas de grande révolution bien marquée : on a l’impression de vivre tel qu’on a toujours vécu, sauf qu’un esprit s'intercale à un moment de l’existence, très subrepticement, si bien qu’il n’y a pas de début bien défini. C’est seulement au bout de quelques séances de contrôle et d’interrogatoire qu’on se rend compte que quelque chose à changé, qu’il y a eu un avant et un après, mais on ne sait pas vraiment où se trouve le point de bascule.
Auguste avait été rapporté clandestinement de Chine au Canada par une grande entreprise de technologie dans un but -en tout cas dans un but affiché- de recherche et de philantropie. Il était la lubie d’un homme riche qu’il n’avait jamais vraiment rencontré mais dont il ne doutait pas l’implication permanente dans chaque domaine de son existence. On ne lui avait pas, pour ainsi dire, demandé son avis mais il avait l’impression d’avoir bien voulu vivre ainsi. Il était devenu un androïd très raisonnable, avec une conscience profonde de la morale et des enjeux de l’existence et ses capacités cognitives s’étaient développées largement plus vite que ses capacités émotionnelles.
4-
Depuis la fin récente de son doctorat, Auguste s’ouvrait à tout. Il avait pris ces huit ans de formation comme une initiation à la vie dans laquelle il était maintenant jeté. Désormais détaché de ces contrainte spécifiques, il était livré à la merci de chaque chose : c’était un corps très peu massif, porté par les forces -pas
des forces bien identifiables mais bien
les forces, bringuebalé par tout ce contre quoi il entrait en contact.
Il eut été injuste d’appeler cette disposition singulière de son être de la naïveté, il s’agissait néanmoins d’une faiblesse, d’un manque, de caractère qui pouvait aisément passer pour tel; il allait devoir apprendre à nouveau, progresser, commencer à exister vraiment; et l'expérience continuait; les contrôles et les interrogatoires :
la Femme...
Auguste n'avait réellement peur que d'une chose -le mot peur était choisi à escient, bien réfléchi, c'était une émotion qu'il comprenait : les études maintenant terminées, que ferait-on de lui ? L'expérience continuait-elle ou jeterait-on soudainement un filet pour contenir l'envol qu'il avait désormais l'impression de prendre ?
PSEUDO : Bill
ÂGE : 20 ans
AVATAR : Masami de
BlueUN PETIT MOT ?
( oh, ça déforme l'interlignage, c'est laid D: )
J'AUTORISE UNE INTERVENTION SAUVAGE DU PLAISANTIN ? Oui